Memory, Christine Féret-Fleury
Editeur : LynksNombre de pages : 189Résumé : Il y a le phare, où Mem mène une existence de captive, coincée entre son frère Sam et l’inquiétant Joris. Il y a le quotidien, morne et gris, la peur au ventre, peur d’être frappée, peur de prononcer un mot interdit, peur de déployer ses ailes, et qu’elles lui soient arrachées. Il y a le rêve, aussi, toujours le même, qui l’aide à tenir le coup. Jusqu’au jour où le refuge du trio est attaqué. Libre presque malgré elle, Mem s’en va sans un regard en arrière ...
Un grand merci aux éditions Lynks pour l’envoi de ce volume et à la plateforme SimPlement pour avoir rendu ce partenariat possible.
- Un petit extrait -
« Apprendre. C'est comme une faim. Mieux que la faim. Si je pouvais dévorer les mots pour les enfermer dans mon corps, je le ferais. »
- Mon avis sur le livre -
Quand il y en a plus … il y en a encore ! A chaque fois que je viens à bout de ma (toute) petite pile de services presse, un petit paquet m’attend sagement dans la boite aux lettres, à croire que ma factrice m’espionne pour savoir quand poster les colis ! L’avantage de ce « chassé-croisé », c’est que je suis beaucoup moins angoissée que lorsque les livres arrivaient tous en même temps : pas besoin de jongler avec les dates butoirs et plannings de publication, les lectures et chroniques s’enchainent tout naturellement par ordre d’arrivée … C’est ainsi que, quelques jours à peine après être entré sur les étagères, Memory en est ressorti car son tour était venu de venir se frayer une petite place dans mon cœur de lectrice. Car croyez-le ou non, mais je n’oublie jamais un livre : il y a toujours un petit quelque chose, une phrase, une émotion, une réflexion, qui reste à jamais gravé dans ma mémoire …
Cela fait des années que Mem vit enfermée dans le Phare, avec pour seule compagnie son frère Samuel et le cruel Joris qui la battent quotidiennement. Des années que son quotidien se résume à la faim, à la douleur, à la peur, à la servitude. Car elle n’est rien d’autre que Mem. La petite Mem, toute juste bonne à faire la cuisine, la vaisselle, la lessive, le ménage, à obéir et à se taire. A oublier. Oublier ce que veut dire « rêver », « mère », « pourquoi », « avant ». Tous ces mots interdits, bannis, dangereux, qui dansent dans son esprit mais qui ne doivent jamais passer la barrière de ses lèvres gercées par la mer et le froid. Jusqu’au jour où les Autres attaquent le Phare, lui offrant la liberté qu’elle n’a jamais connue, jamais cherchée. Poussée par une envie irrésistible qu’elle ne s’explique pas, Mem fuit le Phare et s’élance vers l’inconnu. Sans un regard en arrière, sans une once de regret. Elle le sent, là-bas, elle trouvera les réponses aux questions qu’elle ignore encore se poser …
Au collège, on nous apprend que l’incipit d’un roman doit nécessairement apporter au lecteur les informations essentielles pour comprendre le récit : où, quand, qui, quoi ? Ici, l’autrice se joue des conventions et les balaye d’une vague : le lecteur est plongé dans une délicieuse incertitude, tout comme dans un rêve. Il devine plus qu’il ne sait. Alors il se laisse porter, sans trop savoir où il a mis les pieds, sans trop savoir dans quoi il s’est engagé. Il se laisse guider par la petite Mem, qui elle-même ne sait pas trop où elle va : jusqu’à présent, elle se contentait d’obéir aux ordres, comme on lui a appris à le faire au Centre d’Apprentissage. Livrée à elle-même, dans la plus parfaite des solitudes, Mem quitte ce Phare, sa maison, sa prison, pour découvrir « ce qu’il y a, là-bas, derrière la ligne des collines qui protègent le port ». Elle n’a d’autre envie que de tourner le dos à ce lieu qui fut le témoin des coups et des insultes. Elle n’a d’autre but que de savoir, enfin, ce qu’on lui a toujours caché.
Savoir. Apprendre. Tel est ce qui l’attend au bout du chemin. Guidée par celle qui fut son institutrice, Mem se libère des chaines qui l’entravaient et libère enfin les mots qui enflaient dans son cœur. Ces mots chargés de peur et de peine, mais aussi d’espoir, ces mots interdits qu’elle ne parvenait pas à oublier malgré les coups et les menaces, ces mots dont elle comprend à peine le sens mais qui luttaient pour ne pas disparaitre dans les méandres de l’oubli. Ces mots qui, petit à petit, enfin délivrés, font ressurgir des souvenirs. « Avec les mots, on peut raconter toutes les histoires du monde », explique Calipse à la petite fille qui découvre ce qu’est un livre. Car dans ce futur où règne une dictature du travail et du silence, les livres, la connaissance, les mots eux-mêmes ont été bannis pour mieux contrôler le peuple. Et voici que Mem découvre tous ces mots interdits : « rêve », « confiance », « liberté », « espérance ». Elle apprend à voyager sans bouger, à rêver toute éveillée, tandis que les signes sur le papier prennent vie dans sa tête. Mem apprend à lire.
Bien plus qu’un livre d’anticipation, c’est donc bien une sorte de voyage initiatique que l’autrice nous invite à effectuer aux côtés de Mem. Petite fille, adolescente ou jeune femme, Mem change d’âge et de visage au gré des chapitres. Chaque pas la rapproche un peu plus de son passé, ce passé qu’on a vainement tenté d’effacer mais qui ressurgit furtivement, une bribe de souvenirs par-ci par-là, l’écho d’un visage, l’ombre d’une berceuse. Sans ce passé qui se dérobe à elle, Mem n’est qu’une coquille vide : comment savoir qui on est quand on ignore qui on a été ? Au gré des rencontres, au fil également des mésaventures, Mem retrouve progressivement son identité, par le pouvoir des mots et celui de la bienveillance. Et le lecteur jubile de la voir, page après page, se révéler à elle-même, se retrouver elle-même. Jusqu’à ce que son prénom s’impose à elle, comme une évidence : il a toujours été là, mais elle n’a jamais réussi à le voir. Mais désormais, Mem sait qui elle est, et elle sait également ce qu’elle doit faire …
En bref, vous l’aurez bien compris, j’ai beaucoup aimé ce petit livre qui ne ressemble à aucun autre. Ce roman, c’est un peu comme un songe : on se retrouve hors du temps et de l’espace, dans un lieu et une époque qu’on ne peut déterminer avec précision … On est suspendu au bord du vide, retenu par de simples mots qui nous racontent l’odyssée de la petite Mem, qui nous happent et nous emprisonnent pour mieux nous émouvoir, pour mieux nous transformer. Car on ressort de ce roman un peu changé de l’intérieur, on a le sentiment un peu confus d’être détenteur d’un secret primordial, de n’être que le relais d’un message crucial, qui se niche au fond de notre être, quelque part, on ne sait où. C’est un récit à la fois dur et doux que nous propose Christine Féret-Fleury, un récit très atypique mais surtout très important. Il y a au creux de ce récit une véritable lettre d’amour à la littérature, un hommage au pouvoir et à la magie des mots. C’est un roman plutôt déconcertant, car il ne se laisse pas enfermer dans un genre ou dans des règles, mais c’est vraiment un beau roman, alors n’hésitez pas …