Rarement un titre de roman aura si bien porté son nom. Tracey en mille morceaux. Mille morceaux, mille fragments, mille pensées éparpillées…Tu commences à me connaître. Tu sais à quel point j’adore les histoires d’ados cabossés qui ne baignent pas dans une vie cotonneuse. Avec Tracey en mille morceaux, ça partait fort:
Je suis si heureuse. Ma vie est extraordinaire. Maintenant, je vais m’arracher les yeux. Vous me trouvez drôle ? JE SUIS UNE URGENCE – assise ici, nue sous les fleurs d’un rideau de douche crasseux. C’EST PAS DE MA FAUTE. Mon ADN est détraqué.
Et puis… plouf! Par je ne sais quel miracle, je me suis bien rendue jusqu’au bout. Parce que la voix qui crie dans ce roman a de l’écho. Mais sapristi, ce que j’ai pu avoir de la misère à m’accrocher aux filaments de la psyché de cette ado en ébullition.Pour faire une histoire courte, la Tracey du titre a 15 ans, c’est «une fille normale qui se déteste». Suite à la disparition de son petit frère, elle part à sa recherche. Elle marmonne, assise au fond d’un bus, vêtue d’un simple rideau de douche. Ça, c’est le noyau de l’histoire. Puis, il y a plusieurs couches de peaux: des rencontres peu recommandables, un milieu familial complètement dysfonctionnel, de l’intimidation à l’école, etc.La chronologie est à ce point malmenée que j’en perdais mon latin. Sans parler du flou: j’ignore si la relation entre Tracey et Billy Speed, le bad boy dont l’adolescente est amoureuse, est réelle ou si elle est une pure projection fantasmatique. J’ignore si Tracey a véritablement hypnotisé son petit frère, qui se prend maintenant pour un chien.En somme, il y a ici trop de zones nébuleuses pour moi.
Un irritant de plus: l’univers des adultes est à ce point caricatural que c’en est devenu risible. Aucune zone grise. Tant les parents de Tracey que sa psychiatre sont abjectes, misérables, inconsistants. Du petit frère disparu, on ne saura pour ainsi dire rien.Bref, j’avais l’impression d’être témoin d’un mauvais mélodrame. Trop, c’est comme pas assez!Ce qui m’a empêché d’abandonner le premier roman de la Canadienne, c’est l’originalité de son style et la musicalité de ses mots. La langue se tord de tous les côtés, avec des coups de gueule acrimonieux et des flashbacks chaotiques. Le flot en devient hypnotisant, près de la folie. Je me suis laissée porter, sans tout saisir. Ce qui reste est la voix d’une jeunesse confuse, en colère, vulnérable.Un premier roman déroutant et éclaté, porté par une héroïne disloquée qui ne me laissera pas de souvenirs impérissables. Je garderai cependant en tête cette maxime: «Seuls les gens ennuyeux s’ennuient.»Tracey en mille morceaux, Maureen Medved, trad. Claire Chabalier et Louise Chabalier, Les allusifs, 202 pages, 2007.★★★★★