Il y a des livres dont on ne sait par quel bout les prendre. Chienne m'a fait cet effet. Ce récit, à peine paru, fait déjà énormément jaser. Cette première autofiction, signée Marie - Pier Lafontaine, vient du plus profond des tripes. Je ne me souviens pas avoir lu des mots aussi durs, crus, violents. Le fait qu'il s'agisse d'une autofiction écrite par fragments renforce l'effet de lecture. Aucune pause, aucun temps mort. L'horreur brute est là, à chaque page, et jusqu'entre les pages.
Nous étions, ma sœur et moi, les victimes parfaites pour mon père. Nous avions toutes deux un vagin.
Le père voulait enfoncer son excroissance au fond de nos gorges. Il la rentrerait jusqu'à la glotte. Le jeu consisterait à nous étrangler sans que nous vomissions. Il adorerait tapisser nos bouches de sperme visqueux. Par chance, la mère lui interdit de nous violer.
Impossible de rester de marbre devant de tels mots. Du début à la fin, le malaise est là, se diffuse brutalement, frontalement. 114 pages pour décrire l'inceste, l'enfance détruite de deux petites soeurs, l'horreur et le sadisme à l'état pur. Le style cru de Marie - Pier Lafontaine rend compte d'une grande maîtrise. Dans un monde utopiste, les mots de Marie - Pier Lafontaine n'existeraient pas, parce que des estis de gros cochons pervers n'existeraient pas non plus. Mais la réalité étant ce qu'elle est...
Je peux comprendre ce qui sous-tend l 'envie de publier une telle charge de mots. Écriture thérapeutique. Dénonciation. Cri libérateur. On a affaire ici à un véritable réquisitoire, un règlement de comptes familial. Mais qu'en est-il du lecteur? Pour quelles raisons souhaite-t-il lire ce genre de récit autofictif - celui-ci ou un autre de même nature? Qu'espère-t-il en retirer? Un désir de comprendre? Une forme de voyeurisme?
À quoi bon écrire chaque épisode, chaque violence, chaque soumission. Jamais personne ne pourra comprendre ce que c'était de grandir sous le même toit que cet animal. Et même si j'avais des photos à montrer et des enregistrements vidéo et d'autres photos encore, il faut l'avoir vécu dans son corps pour comprendre. Je fais partie des éclopées. De ces gens qui ont expérimenté au plus près du cœur la déchirure du monde. Je ne crois en rien si ce n'est en la capacité des hommes à détruire.
J'ai envie de rétorquer :
À quoi bon lire chaque épisode, chaque violence, chaque soumission si jamais personne ne pourra comprendre ce que c'était de grandir sous le même toit que cet animal.
Je n'ai pas de réponses...
Outre les indéniables qualités littéraires de ce récit et l'essence d 'un vécu traumatisant démystifiée, quelque chose m'a agacée: l'impression d'un ressassement ad nauseam. Il est question du père, de la mère, de la grand-mère, de la sœur et de la narratrice. Pourtant, la famille se compose de plusieurs enfants. Outre un grand frère, jamais on n'entend parler des autres. Comme s'ils n'existaient pas.
Irais-je jusqu'à évoquer une forme de "complaisance"? Je mets le mot entre guillemets, car si une féministe agressive passe par ici, je vais me faire ramasser d'aplomb. Tout ce que je tente de décortiquer, c'est mon ressenti de lecture tout personnel. C'est ce qui m'est venu à l'esprit en tournant la dernière page, ressenti renforcé par ces mots:
Ce désir inavouable, paradoxal, que jamais je n'aille mieux. Que les douleurs ne s'éteignent pas. Que la peur persiste dans ma chair, mes os. [...] Je voudrais encore plus de cicatrices. Encore plus de traces de peau décolorée que jamais plus aucun rayon de soleil ne pourrait foncer. Je voudrais que l'on me croie.
Une reconstruction est-elle envisageable? Une quelconque forme de résilience est-elle possible? Je l'ignore. Mais j'aurais souhaité pourvoir sentir qu 'une telle perspective soit à tout le moins envisageable.
Un texte d'une puissance douloureuse, dérangeante, dont on ne sort pas indemne.