La vie littéraire en France sous l’occupation

Par Site3p

Dans les années trente se développait une littérature engagée : à gauche, une littérature républicaine, dreyfusarde, socialiste, voire communiste, antifasciste, favorable au front populaire de Léon Blum qui remporta l'élection de 1936, et pour les Républicains en Espagne. En juin 1935 se tenait à Paris le premier congrès international des écrivains pour la défense de la culture, sous la présidence de Gide et Malraux, avec 120 participants nationaux et internationaux provenant de 38 pays, dont des Allemands émigrés en France comme Anna Seghers ou les frères Mann.

Mais il existait aussi une littérature engagée à droite. Tout d'abord l'Action Française dirigée par Charles Maurras, monarchiste, ouvertement antisémite et militant pour une France fasciste. Drieu La Rochelle ( Socialisme fasciste, 1934) menait une petite organisation avec les mêmes buts. Robert Brasillach, un espoir de la littérature, était contre la république, fortement nationaliste et antisémite. Le Renouveau Catholique, un mouvement d'après-guerre avec Charles Péguy comme précurseur, était contre la République, favorable à l'ordre traditionnel et à la Monarchie, avec un antisémitisme sous-jacent : Bernanos, Claudel, Huysmans, Jouhandeau, Mounier, Gabriel Marcel. Bien que se disant apolitique, la grande bourgeoisie était en réalité antidreyfusarde et antisémite (Colette) et défavorable à la République. Quant à l'Académie Française, elle procéda en 1936 à l'élection de Charles Maurras alors emprisonné pour avoir appelé à tuer Léon Blum. Enfin, le docteur Destouches, connu sous le nom de Louis-Ferdinand Céline, solitaire et n'appartenant à aucun groupe, publia son pire pamphlet antisémite Bagatelles pour un massacre en1937, avant de sympathiser ouvertement avec Hitler.

Otto Abetz et Karl Epting

L'élite nationalsocialiste qui ne connaissait la France que par la guerre, n'était pas francophile. À l'exception des nazis Otto Abetz (1903 - 1958) et Karl Epting (1905 - 1979), tous deux mariés à des Françaises et qui cherchaient à établir des liens avec les intellectuels français de droite. Après que Brasillach eut rendu visite à Abetz en Allemagne en 1937, ce dernier vint lui-même en France donner des conférences pour y présenter par exemple la jeunesse hitlérienne. De plus, après la défaite française en 1940, Abetz fut nommé ambassadeur d'Allemagne à Paris. Karl Epting qui avait renoncé à une carrière universitaire, dirigea l'Institut Allemand, installé dans l'ancienne ambassade polonaise. Abetz était à la fois ambassadeur pour la zone libre de Vichy et pour la zone occupée qui était sous gouvernement militaire et son siège était Paris. Le souhait des deux était de créer, soutenir et propager une vie intellectuelle de droite, antisémite, pro-fasciste et pro-allemande, comme le montre André Gide dans cet extrait de La rive gauche d'Herbert Lottman

" Et ce fut ainsi que, rapidement, se fit jour le paradoxe suivant : on pouvait être ou tout au moins se sentir plus libre à Paris sous l'Occupation qu'à Vichy sous le régime pétainiste - si l'on était écrivain ou artiste, disons un Mauriac ou un Picasso. Au moins on y savait mieux ce qu'il en était. Je vais jusqu'à croire préférable, pour un temps, la sujétion allemande, avec ses pénibles humiliations, moins préjudiciable pour nous, moins dégradante que la stupide discipline que nous propose aujourd'hui Vichy (André Gide 1941). "

Drieu La Rochelle et la NRF

La Nouvelle Revue Française, fondée en 1908 par André Gide, était, après la grande guerre et selon Lottman, le lieu par excellence de la pensée contemporaine. Paulhan, l'un des éditeurs en 1940, écrivit à Drieu la Rochelle : S'il y a des gens qui pensent que la NRF devient communiste quand elle publie un poème d'Aragon, fasciste avec vous, radicale avec Alain, pacifiste avec Giono et guerrière avec Benda ce sont des sots. Drieu fait alors savoir à Gallimard qu'il ne collaborera plus dans une revue qui publie Aragon. Et il note dans son journal : En tout cas je suis bien décidé à ne plus mettre les pieds à la NRF où dominent les juifs, les communistes, les anciens surréalistes et toutes sortes de gens qui croient en principe que la vérité est à gauche.

Concernant Paulhan, il note : ce petit fonctionnaire, pusillamine et sournois, oscillant entre le surréalisme hystérique et le rationalisme gaga de la République des professeurs.

En juin 1940, les Allemands sont là et avec eux Otto Abetz, l'ami de Drieu, qui, début juillet, nota déjà dans son journal : Quant à la NRF, elle va ramper à mes pieds. Cet amas de juifs, de pédérastes, de surréalistes timides va se gondoler misérablement. Paulhan, privé de son Benda, va filer le long des murs, la queue entre les jambes.

Le premier numéro de la nouvelle NRF sous la direction de Drieu parut en décembre 1940 : Ce premier numéro présentait une participation de l'ancien groupe de la NRF aussi complète que Drieu avait pu l'espérer, renforcés par l'arrivée de quelques amis de Drieu : Jacques Chardonne, Jacques Audiberti, Marcel Aymé, Marcel Jouhandeau, Paul Morand ... Certains auteurs publièrent régulièrement dans la NRF de Drieu : Alain, Marcel Arland, Audiberti, Chardonne, Fabre-Luce, Fernandez, le poète Jean Follain, Jean Giono, Jouhandeau, Montherlant, Armand Petitjean, Henri Thomas. D'autres collaborèrent juste une ou deux fois, mais suffisamment pour donner une apparence de légitimité à l'entreprise de Drieu : Jean Cocteau par exemple, ou Louis Guilloux, Georges Izard, Jacques Madaule. (Herbert Lottman, La rive gauche, 1981, p.198/9)

Pourtant la NRF sous Drieu n'avait pas de rayonnement intellectuel. Et Drieu nota dans son journal en décembre 1942 : Je me suis mis dans une situation qui m'ennuie affreusement : la revue, la collaboration, tout cela m'embête depuis le début presque tout le temps. Et depuis que tout cela tourne décidément mal je suis excédé par le rôle qu'il me faut tenir jusqu'au bout. J'ai souvent envie de me suicider tout de suite. (Lottman, p.205)

Congrès européen d'écrivains fascistes - Weimarer Dichtertreffen (1941)

En 1941, un Congrès européen d'écrivains et de poètes fascistes fut réuni à Weimar. Parmi les participants invités par Goebbels, il y avait les Français Robert Brasillach, Pierre Drieu La Rochelle, Abel Bonnard (Académicien et Ministre de l'Éducation nationale de Pétain, la Gestapette), Ramon Fernandez (écrivain et journaliste collaborationniste), André Fraigneau (latiniste et écrivain), Jacques Chardonne (un des collaborateurs de la NRF de Drieu), Marcel Jouhandeau.

Tout le monde résistait, tout le monde collaborait

Robert Brasillach devant le tribunal déclara en janvier 1945 : J'ai rencontré à l'Institut Allemand un certain nombre de gens, un certain nombre d'écrivains, dont plusieurs seraient peut-être bien embarrassés si je n'avais pas la charité de me taire sur leur nom ... Je peux tout de même dire que la seule fois de ma vie où j'ai rencontré M. Gallimard, éditeur éminent aujourd'hui, c'est à l'Institut Allemand. Je peux tout de même dire que tout ce qui a compté en France est passé à l'Institut Allemand. M. Duhamel, je l'ai vu à l'Institut Allemand ; j'ai vu à l'Institut Jean Giraudoux. J'ai déjeuné avec Jean Giraudoux à l'Institut Allemand, et je ne crois pas que Jean Giraudoux était un traître. (Lottman, p. 228)

S'il y avait une collaboration de conviction, elle était plus souvent opportuniste. Et l'occupation, plutôt souple au début, a vu augmenter avec le temps les actes de résistance ainsi que les actes de répression, la méfiance, la police secrète, les procès et les exécutions. En novembre 1942, toute la France devint zone occupée, les besoins de l'administration militaire étaient plus importants que les idées de rapprochement intellectuel d'Abetz et d'Epting.

Après la libération de Paris en août 1944, l'épuration commença. Drieu La Rochelle après avoir dit sa déception dans Récit secret (1944), se suicida en février 45. Robert Brasillach, arrêté en septembre 1944, fut condamné à mort pour intelligence avec l'ennemi en janvier 45 et exécuté le 6 février. Abel Bonnard s'exila dans l'Espagne de Franco. Il fut condamné à mort par contumace et perdit son siège à l'Académie. Seront également condamnés les académiciens Charles Maurras, l'idéologue de Pétain (condamné à prison perpétuelle et mort en 1952) et Abel Hermant, critique littéraire (condamné à prison perpétuelle et mort en 1950). Jacques Chardonne fut emprisonné, mais il n'y eut pas de procès. D'autres, comme André Fraigneau, furent mis à l'index par le Comité National des Ecrivains. Céline qui, en 1944, était à Sigmaringen avec le gouvernement Pétain s'enfuit au Danemark où il resta interné jusqu'à 49. Le Renouveau Catholique qui avait haï la république laïque fut, avec le MRP, un des partis de gouvernement de la IV République. Otto Abetz fut jugé à Paris et condamné à 20 ans de travaux forcés. Il fut libéré en 1954 et mourut avec sa femme dans un accident de la route en 1958.

Hansjörg Frommer

Café Littéraire de Valréas (26 septembre 2019)

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Le Café de Flore sous l'occupation in Les Cafés Littéraires de Gérard-Georges Lemaire , par Hélène Gallet

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