Premières lignes #83 : Cinder

Par Pommy @Pomme___Rouge

Premières lignes est un rendez-vous initié par Ma lecturothèque. Le principe est simple, tous les dimanches, je vais vous citez les premières lignes d’un ouvrage.


Chapitre 1

La vis de fixation qui traversait la cheville de Cinder avait rouillé, et son empreinte cruciforme était presque effacée. Les doigt douloureux à force de serrer le tournevis, Cinder dévissait avec peine. Quand elle eut suffisamment sorti la vis pour l’extraire avec sa main en acier, le tournevis tourna à vide.
Jetant l’outil sur son établi, Cinder empoigna son pied par le talon et le déboîta d’un coup. Une étincelle lui roussit les doigts. Elle retira vivement sa main ; le pied pendouilla au bout de son écheveau de câbles rouges et jaunes.
Elle se laissa aller en arrière sur son siège en grognant de soulagement. C’était enfin la libération. Quatre ans qu’elle détestait ce pied trop petit ! Elle se promit de ne jamais le remettre. Elle espérait juste qu’Iko ne tarderait pas à revenir avec le nouveau.
Cinder était la seule mécanicienne en activité sur le marché de Néo-Beijing. Dépourvue d’enseigne, son échoppe trahissait sa fonction, avec ses étagères encombrées de pièces détachés d’androïdes. Elle se nichait dans un  renfoncement, entre un revendeur d’holocrans d’occasion et un marchand de soie. Tous deux se plaignaient souvent des effluves de métal et de cambouis qui émanaient de chez Cinder, malgré l’arôme des petits pains au miel de la boulangerie, de l’autre côté de la place. Ce qui leur déplaisait surtout, Cinder le savait bien, c’était de cohabiter avec elle.
L’établi couvert d’une nappe crasseuse séparait Cinder de la foule des passants. La place grouillait de boutiquiers, de vendeurs itinérants, de gamins et vibrait de bruit multiples : les braillements de ceux qui essayaient en vain de discuter le prix de certains robots, le bourdonnement des lecteurs ID, suivi de l’annonce monocorde d’une voix enregistrée à chaque transfert d’argent, le babil des holocrans sur les bâtiments, qui emplissaient l’atmosphère d’un brouhaha de publicités, d’informations et de ragots. L’interface auditive de Cinder atténuait tous ces sons et les fondait en une sorte de bruit de fond indistinct, mais, ce jour-là, une comptine entêtante flottait au-dessus du vacarme. Une grappe d’enfants faisait la ronde juste devant son échoppe en chantant « Cendres, cendres, nous tombons tous ! », avant de s’écrouler sur le trottoir avec des gloussements hystériques.