INTERVIEW – Clément Oubrerie: « Je n’aime pas les dessins trop parfaits »

INTERVIEW – Clément Oubrerie: « Je n’aime pas les dessins trop parfaits »

Clément Oubrerie est un dessinateur de BD très intéressant à suivre, parce qu’il parvient à rendre tous les sujets particulièrement vivants. Accessoirement, c’est aussi l’un des auteurs les plus prolifiques du moment. Après s’être fait un nom en tant qu’illustrateur de livres pour enfants, il a entamé sa carrière dans la BD en 2005 avec la délicieuse série « Aya de Yopougon », scénarisée par Marguerite Abouet et portée au grand écran en 2013. Depuis lors, il a multiplié les albums, les univers et les époques, avec notamment des séries étonnantes telles que « Pablo » et « Cyberfatale ». Avec « Voltaire amoureux », il cumule pour la première fois les casquettes de dessinateur et de scénariste. Une nouvelle fois, la réussite est au rendez-vous, puisque le tome 1 de la série a reçu le Grand Prix Quai des Bulles en 2017. A l’occasion de la sortie de « Voltaire (très) amoureux », la suite des aventures amoureuses du célèbre philosophe, nous en avons profité pour poser quelques questions à Clément Oubrerie sur ses sources d’inspiration et sa manière de travailler.

D’où vous vient cet intérêt pour Voltaire?

Ca vient du fait que tout le monde s’est mis à parler de Voltaire après les attentats de Paris. Je me suis rendu compte à ce moment-là que je l’avais étudié à l’école comme tout le monde, mais que j’étais bien incapable de dire exactement quelle était sa pensée.

Vous avez donc eu envie d’en apprendre davantage sur lui?

Oui, absolument. Et du coup, je me suis pris de passion pour le 18ème siècle. C’est étonnant parce que jusque-là, j’avais toujours trouvé que l’histoire avait un côté un peu trop abstrait, mais tout à coup je me suis plongé dedans et c’est devenu très vivant. Il s’est passé un truc. Comme j’aime bien changer régulièrement d’atmosphère et d’époque dans mes albums, je me suis dit que c’était l’occasion d’explorer quelque chose de nouveau. Si on ajoute à cela le fait que j’ai découvert l’histoire d’amour entre Voltaire et Emilie du Châtelet, ça m’a paru être un très bon sujet pour une bande dessinée.

Pourtant, Emilie du Châtelet n’apparaît pas dans le tome 1 de « Voltaire amoureux ». Il faut attendre le tome 2 pour enfin la voir…

Pour moi, c’était évident que je ne pouvais pas démarrer de but en blanc sur Emilie du Châtelet. Avant d’en arriver à elle, je voulais d’abord dépeindre l’Europe au 18ème siècle. Je dis l’Europe et pas la France parce que dans le premier volume, Voltaire se rend notamment à Bruxelles et à La Haye. Il est émerveillé par ces villes, qui sont pour lui des endroits de tolérance, notamment au niveau religieux. Il trouve ça formidable qu’on puisse y vivre en tant que bourgeois respecté, alors qu’en France, tous ceux qui ne sont pas des aristocrates sont vus comme des moins que rien. Il éprouve une vraie passion pour ces villes. Je trouvais ça très drôle à raconter. J’aimais bien aussi l’idée de faire un clin d’œil à Bruxelles et à la Belgique, parce qu’en tant qu’auteur de BD, j’adore ce pays. Mais effectivement, comme il se passe tellement de choses dans la vie de fou de Voltaire, je suis arrivé à la fin du premier volume sans avoir eu l’occasion de parler d’Emilie du Châtelet!

INTERVIEW – Clément Oubrerie: « Je n’aime pas les dessins trop parfaits »

Le fait de ne pas parler d’Emilie dans le tome 1 n’était donc pas prévu au départ?

Non, pas vraiment. Mais au final, c’est une bonne chose parce que le premier volume montre un Voltaire amoureux de plein de gens, mais pas encore de la bonne personne. Ce que recherche Voltaire, c’est un alter ego. Ce qu’il lui faut, c’est une personne de la même dimension intellectuelle que lui. En ça, il est très moderne.

Mais il va mettre du temps à le trouver, cet alter ego!

Evidemment, comme il est un génie, il ne rencontre pas des gens comme lui toutes les cinq minutes. Surtout au 18ème siècle, durant lequel les filles ne recevaient pas la même éducation que les garçons. C’était donc très difficile pour lui de rencontrer quelqu’un qui soit à sa mesure. Heureusement pour lui, il va enfin y arriver dans le deuxième volume, après tous les échecs rencontrés au long du premier volume.

C’est pour ça que le tome 2 s’appelle « Voltaire (très) amoureux » alors que le premier s’intitulait simplement « Voltaire amoureux »?

Oui, c’est ça. Le changement de titre souligne effectivement qu’on change de braquet et qu’on passe à la vitesse supérieure. Sans spoiler la suite de l’histoire, je peux d’ailleurs dire que Voltaire aura une relation d’une dizaine d’années avec Emilie du Châtelet. Mais après elle, il ne retrouvera plus jamais cette même intensité.

Il y aura combien de tomes au total? Trois?

Non, je ne vais pas parvenir à tout faire rentrer en trois tomes! (rires) Je pense qu’il y en aura plutôt quatre ou cinq, parce qu’il y a vraiment beaucoup de choses à raconter.

INTERVIEW – Clément Oubrerie: « Je n’aime pas les dessins trop parfaits »

C’est la première fois que vous êtes à la fois dessinateur et scénariste d’une série. Pourquoi avoir choisi de travailler tout seul cette fois-ci?

Ce n’est pas que j’ai choisi de travailler seul, c’est plutôt que j’ai osé. Je me suis lancé dans cette aventure parce que j’ai rencontré un éditeur qui m’a soutenu et qui m’a donné confiance. Et puis en tant que dessinateur, cela fait des années que je participe aux scénarios de mes bandes dessinées. Avec Julie Birmant, par exemple, on travaille vraiment en collaboration totale. Je peux donc avoir une vraie influence sur le cours de ses histoires.

C’est vrai qu’il y a des similitudes entre la manière dont vous racontez Voltaire et la manière dont Julie Birmant raconte Picasso dans votre série « Pablo », par exemple.

On retrouve effectivement cette même écriture très graphique. En général, les dessinateurs de BD sont plus que des dessinateurs, ce sont des metteurs en scène. Au bout de 10 ou 15 albums, je me sens aujourd’hui suffisamment en confiance pour faire un scénario moi-même.

En tant que dessinateur, est-ce que vous avez eu du mal à trouver le personnage d’Emilie, qui joue tout de même un rôle central dans votre histoire?

Non, pas du tout, il m’est venu très facilement. Quand on lit les ouvrages sur Emilie, on se rend compte que ses contemporains la décrivent comme n’étant pas jolie. Souvent, elle est présentée comme étant grande, maigre et plate. Ce genre de physique ne correspondait pas aux canons de beauté de son époque. Les tableaux de Poussin, par exemple, représentent plutôt des femmes bien en chair. J’en ai conclu qu’aujourd’hui, Emilie pourrait être mannequin. Je l’ai donc faite très moderne, avec un côté complètement décalé par rapport au 18ème siècle.

Est-ce qu’on peut dire qu’Emilie était aussi brillante que Voltaire?

On peut même dire que c’est elle qui le transforme en Voltaire! Avant de la rencontrer, Voltaire est un tragédien dont les œuvres rencontrent beaucoup de succès, mais aujourd’hui on ne pourrait pas jouer ses pièces parce qu’elles sont très conventionnelles et très ennuyeuses. C’est un peu comme du Racine, mais en très chiant. C’est Emilie qui va le transformer en cet homme brillant. Non seulement elle lui explique Newton et les sciences, mais elle mène avec lui de véritables conversations philosophiques. Il y a une émulation géniale qui s’opère entre eux.

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Comment expliquez-vous qu’Emilie du Châtelet ne soit pas restée aussi connue que Voltaire?

Emilie a eu une grande importance de son vivant, car c’est elle qui a traduit Newton vers le français. Comme tout le monde ne parlait pas anglais à l’époque, on peut dire que c’était une œuvre de salubrité publique. Après, elle a aussi fait des recherches scientifiques, mais avec les moyens de son temps. Il n’y avait pas de microscope à l’époque, par exemple, et on ne savait pas ce qu’étaient les bactéries. La science au 18ème siècle était assez rudimentaire. En son temps, Emilie a certainement contribué aux Lumières en tant que scientifique, mais aujourd’hui, ce sont des lumières qui nous paraissent bien pâles à côté de celles des écrivains ou des artistes de l’époque.

Comment vous êtes-vous documenté sur la vie de Voltaire et d’Emilie?

J’ai lu énormément de biographies. A un tel point qu’aujourd’hui, je connais la vie de Voltaire quasiment par cœur! J’ai beaucoup lu aussi sur le 18ème siècle, parce que ce qui m’intéresse avant tout, c’est le côté vivant des choses. Les écrits d’Arlette Farge, qui est une historienne qui travaille sur les archives de police, m’ont beaucoup aidé parce qu’elle arrive très bien à restituer les sons et les odeurs de la ville.

Ce qui est intéressant dans votre approche de Voltaire, c’est qu’elle n’est pas académique. Vous faites de lui un personnage très humain et très vivant, comme vous l’aviez déjà fait pour Picasso dans la série « Pablo ».

Si l’idée est de juste raconter la vie de quelqu’un, je ne trouve pas ça intéressant. Ce qui me plaît dans les biographies, que je préfère appeler des portraits, c’est quand un auteur s’empare d’un personnage et le raconte à sa façon.

Vous avez mis beaucoup de vous dans votre Voltaire?

Oui, bien sûr. C’est ça qui est drôle. Voltaire est un être excessif, comme je peux l’être à certains moments, mais comme je suis très pudique, je ne vais pas faire un livre sur moi. Par contre, je peux m’emparer d’autres sujets et me raconter à travers eux. Je suis loin d’être le seul auteur à faire ça, bien sûr. Beaucoup d’autres le font. Et je trouve ça très bien.

Pour certaines séquences de cet album, vous avez changé votre manière de dessiner, non?

En fait, j’essaie de changer tout le temps. Parce que si je m’ennuie, le résultat n’est pas bon. Il m’arrive même de modifier ma technique quand j’arrive à la page 30 d’un livre. Dans « Voltaire (très) amoureux », par exemple, il y a certaines pages faites sur papier, d’autres faites sur support numérique. Et il y a beaucoup de montages et de bouts de dessins collés. En réalité, peu importe la recette, ce qui compte c’est le résultat final.

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Vous êtes un auteur très productif. C’est quoi, votre secret? Vous travaillez très vite?

Je me lève très tôt et je travaille beaucoup. Mais ça ne me gêne pas d’avoir un tel rythme, parce que j’aime bien ça. Et puis je suis impatient. J’admire les gens qui peuvent passer trois ans sur un album, mais jamais je ne pourrais faire une chose pareille.

Quel sera votre prochain album? La suite de votre Voltaire, ou d’abord un autre projet?

Là, je suis occupé à travailler sur le tome 2 de « Meurtre en Abysssinie », qui est une série que j’adore. Je trouve d’ailleurs qu’elle n’est pas encore assez reconnue. Dans le même temps, je suis en train d’écrire le troisième volume de « Voltaire amoureux » et je commence également un diptyque avec Leïla Slimani. Mais nous sommes seulement au tout début de ce projet. Ce sera un très beau sujet, mais pour l’instant je ne peux pas en dire plus.

Est-ce que vous lisez beaucoup de BD?

Je n’aime pas énormément de trucs, mais récemment j’ai adoré « Le loup » de Rochette, par exemple. Ce que j’aime dans une BD, c’est quand il y a un dessin avec de l’énergie et une vraie personnalité. Un album comme « Les Indes Fourbes » de Guarnido, je trouve ça admirable et formidablement dessiné, mais il y a un côté parfait qui m’empêche d’entrer totalement dans l’album. Ce que j’aime bien, ce sont les erreurs. Pour moi, Christophe Blain et Blutch sont vraiment les deux auteurs que j’adore par-dessus tout. Récemment, j’ai découvert aussi l’intégrale de « The swamp thing », un comics américain en noir et blanc. C’est magnifique. Et puis, j’ai vraiment adoré « Saint Rose – A la recherche du dessin ultime » de Hugues Micol. Ce mec est un génie. En le lisant, ça m’a scotché et je me suis dit « pourquoi je n’ai pas fait ça moi-même? »

Donc, cela vous énerve quand vous lisez une BD qui vous plaît?

Oui, parfois ça m’énerve! (rires) Mais en même temps, ça me réjouit. Et ça m’inspire.

Vous êtes plutôt un auteur de séries. Les one-shots, ça ne vous tente pas?

C’est à nouveau un problème de patience. Je suis totalement incapable de faire un livre de 300 pages d’un coup. Je préfère donc faire des séries de 3 ou 4 albums et puis les regrouper dans une intégrale à la fin. C’est aussi bien, non?

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