Parmi tous les dilemmes qui peuvent assaillir un super héros sans peur et sans reproche, le plus récurrent est probablement celui de savoir s'il peut s'arroger ou non le droit de tuer son adversaire, voir de le laisser mourir sans lui prêter secours. La frontière ultime qui délimite le véritable héroïsme du justicier sans foi ni loi constitue cet acte fondamental, prendre une vie. Il est par exemple admis que Batman, dans sa version moderne (car il n'en était pas ainsi à ses tout débuts), est un super-héros qui ne tue pas et fera tout son possible pour l'éviter. Intéressons-nous ainsi à ce qui se passe dans le numéro 12 de Batman Confidential (dernier acte de l'arc narratif lovers and madmen); là encore le Dark Knight est aux prises avec son ennemi de toujours, le Joker (même si le récit se déroule aux prémices de leurs combats, en début de carrière). Ce dernier a la particularité d'avoir laissé dans son sillage, depuis des nombreuses années d'exercice où il a commis les méfaits les plus cinglés et répugnants, une armée de cadavres et de personnes traumatisées à vie, la plupart du temps sans véritable motif. Tout ceci pouvait encore être évité, à l'époque où se déroule l'épisode en question aujourd'hui. Le Joker est persuadé que lorsque Batman affirme que pour lui chaque vie compte, il ne s'agit que d'une déclaration hypocrite. Pour tester cette hypothèse, il se laisse tomber du haut d'un gratte-ciel, plaçant ainsi le justicier devant un choix cornélien : laisser son adversaire du jour s'écraser au sol (et ainsi débarrasser Gotham de la plus grande menace qu'elle connaîtra, épargnant d'innombrables vies dans le futur) ou bien se lancer dans un sauvetage périlleux, au risque de sa propre vie même, pour juste un dingo incurable. Une planche nous montre magistralement ce qui se passe dans la tête de Batman. Une alternance de vignettes lumineuses et colorées est présente, alors que le corps du Joker rapetisse au fur et à mesure qu'il chute. D'autres vignettes plus sombres nous montrent le masque de Batman, vu dans un plan toujours plus rapproché. Les didascalies nous explicitent le cheminement de la pensée du personnage, ses doutes et hésitations, qu'il ressent à cet instant. Qu'auriez-vous fait vous? Batman lui, ne peut pas échapper à ce que le lecteur attend finalement, à ses caractéristiques acquises. Il en a envie, sait que la perte pour la société sera bien maigre... Mais Chaque vie compte... Le meurtre est une violation de mon âme... peu importe à quel point cela me ferait sentir bien... (etc) et le voilà se jetant du haut d'un immeuble, exercice acrobatique impensable, pour aller sauver un serial killer qui ne mériterait aucune considération. Héroïsme absolu. Trop simple d'aimer les amis et d'haïr les ennemis, il faut aussi être capable d'empathie et de compassion envers les pires pourritures du monde, au risque parfois d'une rhétorique un peu naïve, et amenant des solutions narratives éculées, qui se répètent d'une série à l'autre. Le vrai bon super-héros ne tue pas, même le Joker. Batman serait-il donc en partie responsable de tous les méfaits que ce dément commettra à l'avenir?
De Michael Green et Denys Cowan. En 2008.
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