Chloé Delaume.
"Mes bien chers frères", la formule circule depuis des dizaines d'années si pas des siècles. Sans qu'elle ne dérange grand monde. Sauf Chloé Delaume qui la met au féminin, "Mes bien chères sœurs", et en fait le titre d'un essai percutant sur le féminisme (Seuil, 124 pages, mars 2019). Et chance, elle sera au Théâtre 140 ce jeudi 10 octobre pour en faire une lecture (lire ici). Elle présente son livre ainsi: "Ceci est une adresse. Aux femmes en général, autant qu'à leurs alliés. Je vous écris d'où je peux. Le privé est politique, l'intime littérature."
"Mes bien chères sœurs" surprendra peut-être par son ton. Car Chloé Delaume ne mâche pas ses mots. Elle regarde, analyse, décrypte. Puis elle bouscule. Elle secoue. Elle joue d'une prose incisive et envoie quelques boulets de canon. "Le patriarcat bande mou" est sa première phrase - il y en a plein d'autres, tout aussi impitoyables mais sans doute pas définitives. Boum. Ça passe ou ça casse. Mais si ça passe, ça passe rudement bien et on découvre un livre formidable par ses idées, son ton, son énergie, par le fait aussi qu'il s'adresse à tout le monde, femmes et hommes. Car c'est évidemment ensemble qu'on pourra être efficaces pour qu'il n'y ait plus de #metoo par exemple.
Partant d'expériences personnelles et de nombreux exemples, l'écrivaine remet en lumière le concept de "sororité", ancien mais effacé depuis bien trop longtemps. Et on se prend à rêver que cette horizontalité qui évite bien des conflits puisse exister à grande échelle. "Liberté, parité, sororité" pourrait ainsi être une formule très intéressante selon elle.
Elle entend aussi rendre son sens au mot "féministe", mot si souvent raillé, mot qui ne devrait même pas exister si le monde était meilleur. Mais que d'exemples encore de maltraitances contre les femmes, dont elle! Pourtant, on en est actuellement, dit-elle, à la quatrième vague féministe, celle des femmes ordinaires et plus seulement des militantes. L'auteure envisage aussi les raisons pour lesquelles l'espèce humaine n'est pas capable de s'adapter aux changements en cours.
Un espoir clair est toutefois là, permis par les nouvelles technologies et les réseaux sociaux. Pour Chloé Delaume, "Internet a libéré la femme là où Moulinex a échoué", une formule lapidaire mais excellente.
Qui dit femme dit évidemment instinct maternel. Un autre concept pour la sœur de toutes les femmes qui souhaite transmettre plutôt qu'enfanter, une façon de déconstruire les sacro-saintes "connaissances" sur l'instinct maternel.
Et si on essayait la "sororisation" que propose Chloé Delaume? "La sororisation", écrit-elle, "c'est expérimenter l'idée d'une connivence à l'échelle nationale, débouler badaboum, joyeusement foutre en l'air ce qu'il reste des mâles alpha. Pour l'avènement d'un monde qui mérite qu'on soit dedans."
Pour lire le début de "Mes bien chères sœurs", c'est ici.
Théâtre 140, 140 Avenue Eugène Plasky, 1030 Schaerbeek Bruxelles, jeudi 10 octobre à 20 heures (co-présentation de Passa Porta et du 140).