Premières lignes #28 - 2019
Rendez-vous pour vous donner envie de découvrir ma lecture du moment
Les premières phrases ... avant de lire ma chronique dans quelques temps.
Je t'imagine, toi le petit garçon avec ta chemise blanche, ton bermuda élimé et ta raie sur le côté. Je t'imagine... L'odeur du savon de Marseille sur ta peau, mélangée à l'odeur des draps qui sèchent au soleil. Je t'imagine, les pommettes hautes, les yeux noirs espiègles, en petit homme souriant, dévalant les ruelles de la ville blanche dans une flopée d'enfants turbulents, tes amis de là-bas. Je t'imagine saluant l'épicier, la voisine, le boucher de la rue d'Aboukir. Je te vois comme ça, pur et lumineux, transportant ton rire dans les dédales des rues comme le sang dans les veines d'Alger. Ton rire jaillissant de tes petites dents espacées, le rire de ce bonheur passé. Je me souviens de ton rire. Un peu. Alors, je l'imagine lui aussi, qui revient faire un tour entre les petites dents écartées, tes dents d'enfant que tu as gardées jusqu'à devenir vieux, trop vite. Je ne sais pas, et pourtant, je t'imagine distinctement dévaler la ville à toute vitesse, pour retrouver au bout de ta course la Méditerranée, la mer, l'amour de ta vie, belle et translucide et te jeter dedans, comme un fou, au milieu des éclaboussures et des rires des autres enfants d'Algérie.
Je l'imagine parce que tu ne m'as jamais raconté et que j'ai oublié de te demander. Et que maintenant, c'est trop tard.
Cayenne, Guyane française, 1978-1988.
Pendant les trente-six premières années de ma vie, mon père ne m'a jamais dit : "Je t'aime" Ce qui ne m'a jamais vraiment dérangée, ...
→ Hymne à l'amour.
Titre : On reconnaît le bonheur au bruit qu'il fait en s'en allant (25 février 2015)
Auteur : Marie GRIESSINGER
Nombre de pages (papier) : 120
Il s'agit de présenter chaque semaine l'incipit (premières phrases) d'un roman. Il vous permet de découvrir en quelques lignes un style, un langage, un univers, une atmosphère.