Une nuit dans l’Italie rêvée d’Alfred

Une nuit dans l’Italie rêvée d’Alfred

Senso (Alfred – Editions Delcourt)

Germano, un agriculteur bio ruiné, a vraiment la poisse. Ce quadragénaire un peu paumé se rend dans une petite ville du sud de l’Italie pour y retrouver sa fille Anna, une artiste dont les oeuvres sont exposées là-bas, mais il accumule les déboires. Cela commence dès le voyage en train, puisque la canicule entraîne des perturbations dans la circulation ferroviaire. Du coup, Germano débarque avec 6 heures de retard à la gare. Lorsqu’il arrive enfin à destination, sa fille n’est pas là pour le récupérer. Il l’appelle d’une cabine pour la prévenir, mais elle ne répond pas. Malgré la chaleur suffocante, il décide donc de se rendre à son hôtel à pied. Avec le soleil qui tape, la balade lui paraît interminable. Pourtant, ses ennuis sont loin d’être terminés! Arrivé à son hôtel, Germano découvre que sa chambre a été louée à un jeune couple car il a oublié de confirmer sa réservation avant midi, comme le prévoit le règlement. Il faut dire que Germano n’a pas de téléphone portable, ce qui fait qu’il n’a pas pu prévenir l’établissement de son retard. Comble de malchance: toutes les autres chambres sont réservées par une fête de mariage organisée dans l’hôtel ce soir-là. Et il n’y a pas d’autre chambre disponible dans un rayon de 50 kilomètres, vu que c’est le week-end du 15 août. Germano est donc condamné à dormir dans le hall de l’hôtel. Mais une fois de plus, la poisse va le poursuivre: d’abord il perd son sac et ensuite, il tombe sur Vico, un vieil ami un peu lourd qu’il n’a plus vu depuis au moins 15 ans. Par le plus dingue des hasards, c’est justement lui qui se marie aujourd’hui! Germano est donc condamné à participer à la fête… Heureusement pour lui, il va faire la connaissance d’Elena, une invitée qui a, elle aussi, du mal à trouver sa place parmi les autres convives. Ensemble, ils vont se perdre dans le parc immense et féérique qui entoure le vieil hôtel. Et si Germano avait enfin sa dose de chance?

Une nuit dans l’Italie rêvée d’Alfred

Alfred adore raconter l’Italie en bande dessinée. Et il le fait avec beaucoup de talent! Cinq ans après avoir décroché le Fauve d’Or à Angoulême pour son album « Come prima », l’auteur français, qui a lui-même des origines italiennes, est de retour dans la Botte pour raconter la rencontre inattendue entre deux êtres à la dérive au milieu d’une fête qui ne les intéresse pas vraiment. Toute l’action du livre se déroule lors d’une longue nuit d’été, ce qui donne à ce récit un côté très cinématographique. On pense à des grands cinéastes italiens comme Fellini, bien sûr, mais aussi au film « Le Sens de la fête ». Le décor de « Senso » contribue également à cette impression, en particulier ce grand jardin un peu irréel dans lequel Germano et Elena errent sans but précis, en y croisant des statues, des temples, un lac et même un taureau. Cet endroit existe-t-il réellement? « L’Italie que je dessine dans Senso n’existe pas, c’est un mélange de mes Italies », répond Alfred. « Des endroits que je connais ou dans lesquels j’ai vécu, et que je mélange les uns aux autres. Mes origines italiennes sont toujours très présentes, mais je triture différentes périodes, différents endroits, pour en restituer une Italie imaginée, théâtralisée, personnelle… De la même manière, le parc prend racine dans tous ces souvenirs: le jardin botanique de Rome, celui de Naples, un parc caché de Venise dans lequel ma fille a fait ses premiers pas et surtout la Villa Rocca, à Chiavari, l’endroit d’où vient ma famille. » On l’aura compris: « Senso » est un roman graphique qui porte bien son nom, car il parvient à restituer ces sensations typiquement italiennes, à l’image de ces onomatopées qui parsèment les pages quand Germano arrive à la gare: « dai », « basta », « vieni », « che caldo », « certo », « cazzo »… Quelques cases et quelques mots suffisent à Alfred pour nous embarquer dans son univers transalpin. « Senso » est un livre plein de sensibilité et d’humour, à la fois léger et profond, à la fois contemplatif et rythmé. Détail étonnant: l’histoire de Germano et Elena est entrecoupée par des séquences muettes d’un jeune couple en train de faire l’amour. Pendant longtemps, on se demande pourquoi, mais au final toutes les pièces du puzzle tombent au bon endroit…