Il y a eu Les étoiles s’éteignent à l’aube. Il y a eu Cheval indien. Avec Starlight, c’est ici que ça se termine. J’ai le cœur gros. Richard Wagamese est décédé en 2017, à l’âge de 61 ans. Il n’a pas eu le temps de mettre un point final à Starlight. Son éditeur canadien a eu la brillante idée de ne pas laisser les «wagamésiens» en plan et choisi de publier son dernier roman, même s’il est resté inachevé.Retrouver Richard Wagamese en sachant que je lis ses derniers mots est une expérience d’autant plus émotionnante.
Starlight est, en quelque sorte, la suite des Étoiles s’éteignent à l’aube. C’était dans ce roman bouleversant qu’apparaissait pour la premier fois Franklin Starlight, un adolescent ojibwé de la Colombie-Britannique. Depuis, il a pris quelques années, a gagné en sagesse et en maturité. À la mort du vieil homme avec qui il a grandi, Frank a songé quitter la région. Arrivé au croisement des routes, il a rebroussé chemin et a décidé de reprendre la ferme laissée par le vieil homme. Frank vit avec Eugène Roth, son bon ami et homme de main. Ensemble, ils mènent une vie de vieux garçons philosophes. Une vie à la Thoreau, en symbiose avec la nature. Lorsqu’il n’est pas en train de poser du bardeau ou de repeindre la grange, Frank part dans la forêt photographier les animaux sauvages. Ses photos lui apportent d’ailleurs un peu d’argent et une belle popularité – dont il n’a que faire. L’arrivée d’Emmy et de sa fille Winnie va chambouler leur quotidien. Emmy a décidé de prendre son destin en main. Pour elle, mais surtout pour sa gamine. Elles ont fui une vie de violence et d’abus. Avant de prendre la fuite, elle a mis le feu à la maison de Cadotteet d’Anderson, croisant les doigts qu’ils y laissent leur peau. Mais ces deux coriaces n’ont pas péri brûlés. Et ils n’ont qu’une envie: retrouver Emmy et lui faire payer sa fuite. Mais c’est sans compter l’énergie du désespoir qui pousse Emmy à sauver sa peau et celle de sa fille.Aux côtés de Frank et de Roth, les plaies à vif d’Emmy et de Winnie vont cicatriser.Des romans comme celui-ci, il n’en pleut pas des cordes! Le genre de roman qui apaise et réconcilie avec l’humanité, dans lequel il est question de transmission, de rédemption, d’amour et d’amitié.Certes, la vie ne fait pas de cadeaux, mais en revenant à l’essentiel, il est possible de toucher la sérénité du doigt. Agir et faire les bons choix… Le bagage de vie laissé par le vieil homme est bien vivant dans le présent de Frank. La bienveillance de Frank et de Roth est de celle qui redonne foi en l’humanité. L’humour de ce dernier apporte une petite brise fraîche de légèreté. Les rapprochements entre Frank et Emmy sont attendrissants; comme deux adolescents prudes, ils sont gauches et rougissants.La rage et la vengeance bouillonnantes de Cadotte et d’Anderson génèrent un suspense à couper le souffle. Du genre à se ronger les ongles. Comme marcher dans la forêt sur la pointe des pieds, à l’affût du grand méchant loup tapi derrière un arbre.Plus encore que dans Les étoiles s’éteignent à l’aube, la nature sauvage de l’Ouest canadien est admirablement décrite (et traduite).J’avais envie d’y être, moi aussi, et d’apprendre à respirer la forêt, à tendre la main.Moi qui déteste les fins ouvertes, j’ai été prise à mon propre jeu. Parce que la fin ouverte, ici, est juste parfaite… même si elle donne froid dans le dos. Un roman enchanteur d’une beauté sidérante, à lire et à relire.Il était attiré par les gens. Il les trouvait fascinants. Ils étaient aussiparticuliers que les créatures sauvages et il admirait chez eux les germes de sauvagerie qu’ils révélaient lorsqu’ils ne faisaient pas la chose attendue ou appropriée. Il songeait que s’il avait mieux su parler il aurait même pu éprouver le désir de les photographier tout comme il le faisait avec les animaux.Starlight, Richard Wagamese, trad. Christine Raguet, Zoé, 272 pages, 2019.★★★★★