J'ai dépassé la quarantaine, ce qui veut dire que puisque j'ai commencé à lire des comics avant même d'entrer au cours préparatoire, j'ai connu toute la période de gloire des parutions Lug, puis Semic. À l'époque les super-héros en France appartenaient pratiquement à la contre-culture et ils n'avaient pas cette aura magnifique qui les accompagne aujourd'hui. Je sais que d'autres ont vécu des expériences fort différentes, mais dans la cour de récréation du lycée que je fréquentais, lire Spider-Man et compagnie n'était pas le top en terme de popularité. Dans les années 70 et 80, impossible d'aller en librairie pour acheter les dernières parutions américaines c'est en kiosque, chez le marchand de journaux, que nous allions religieusement dévorer ces bande-dessinées mensuelles, qui fonctionnait exclusivement sous forme de fourre-tout, à savoir un patchwork d'histoires qui n'ont pas forcément de logique entre elles. Spider-Man a longtemps fréquenté les Fantastic Four dans Nova, et Daredevil côtoyait Iron Man dans Strange, par exemple.
Parlons-en de Strange! Cette revue, qui à elle seule résume toute une période de notre existence, n'apparaît pourtant pas, avec le regard qui est le notre en 2019, d'une qualité irréprochable. Souvent les histoires publiées sont victimes de la censure ou d'un remontage cavalier; au diable les affres du "complètiste", tout n'est pas publié, certains numéros passent à la trappe, et une série peut en remplacer une autre sans crier garde (je me souviens encore des adieux à la Division Alpha...). La qualité du papier est elle aussi défaillante, souvent granuleuse, très fine, la texture des pages a vieilli souvent assez mal, et c'est la poussière qui y trouve un habitat naturel de premier ordre. Y a-t-il donc encore un intérêt à fantasmer sur ces publications, alors qu'aujourd'hui une vaste entreprise de réédition a été lancée, avec des intégrales dont nous ne pouvions que rêver dans notre prime jeunesse, sans oublier tous les volumes des différentes collections vintage que Panini propose régulièrement? Je parle de Panini, car cet article concerne principalement Marvel Comics. Il faut dire qu'à l'époque les parutions de DC Comics, relayées en France par Aredit/Artima, sont encore plus anarchiques en terme de proposition et de distribution... suivre correctement les aventures de Superman et consorts relèvait du miracle permanent, et du reste assez peu s'y essayaient régulièrement.
Alors pourquoi continue-t-on de parler de Strange, à chaque détour de conversation, dès lors qu'on a dépassé un certain âge? Principalement pour l'effet nostalgie? Alors que nous grandissons, notre regard sur ce qui fut autrefois se teinte toujours plus de bienveillance. Nos goûts ont évolué et les comics également, avec une perte évidente de la naïveté des aventures d'alors, remplacée aujourd'hui par un cynisme et un sarcasme omniprésents; ce que d'autres appelleraient l'entrée définitive dans l'âge adulte des comics. Inversement on trouve aussi toute une panoplie de série décalées, à l'humour absurde et potache, et qui autrefois aurait vraisemblablement subit les foudres de la bien-pensance. Et malgré tout, beaucoup continuent de chercher ces numéros de Nova (petits formats délétères, qui ne rendent certes guère hommage au talent de Byrne sur les Fantastic Four, ou de Buscema sur le Surfer) ou de Special Strange, qui fleurent bons les années 70 et 80. Moi le premier, qui ne possède plus grand chose de l'ère Lug/Semic (j'ai conservé uniquement les RCM et Top Bd les plus marquants) je ne peux m'empêcher, dans une brocante, de feuilleter les fascicules que je trouve à la vente, et de ressentir un pincement au coeur en chaque occasion.
Il est vrai qu'à force de noyer l'offre (avez-vous vu le nombre de sorties mensuelles, entre kiosque et librairie, tous éditeurs confondus? Il faudrait contracter un pêt bancaire chaque trimestre pour s'en sortir...) on finit par perdre de vue l'exceptionnalité, le sentiment d'avoir entre les mains quelque chose de précieux, qui défie la routine, qui échappe à l'ordinaire. Et qui existe en dehors de toute idée de spoiler, à l'ère d'Internet où nous savons déjà comment se terminent les sagas en cours, avant d'avoir commencé à les lire. Strange, c'était tout cela. Une présentation anarchique, un savoir faire artisanal au service d'un univers super héroïque qui n'avait encore que 15/20 ans d'histoires derrière lui, et pouvait surprendre, innover, dérouter, dans une société où le merveilleux n'était pas encore derrière chaque porte, avec une surenchère permanente dans le coup d'éclat, la violence, le marketing, l'esbroufe. Strange c'est un peu la période punk des comics, celles des fiches détachables en guise d'encyclopédie majeure, des couvertures magnifiques de Frisano, qui feront l'objet d'une exposition fort attendue au prochain festival d'Angouleme. Strange, c'est ce passé forcément revisité et magnifié, alors qu'il n'est pas aussi reluisant que cela, mais qui n'a rien à envier à notre présent, où abondance et modernité ne signifient pas toujours félicité. Si j'aime et apprécie grandement ce qu'est l'offre et la variété impensable ces jours-ci, en terme de comics, j'ai aussi la certitude d'avoir commencé quand il le fallait, la bénédiction d'avoir passé mes toutes jeunes années avec le tisseur de toile et tête de fer, plutôt qu'avec Fortnite.
Revivez la grande époque, avec Nos années Strange
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Alors pourquoi continue-t-on de parler de Strange, à chaque détour de conversation, dès lors qu'on a dépassé un certain âge? Principalement pour l'effet nostalgie? Alors que nous grandissons, notre regard sur ce qui fut autrefois se teinte toujours plus de bienveillance. Nos goûts ont évolué et les comics également, avec une perte évidente de la naïveté des aventures d'alors, remplacée aujourd'hui par un cynisme et un sarcasme omniprésents; ce que d'autres appelleraient l'entrée définitive dans l'âge adulte des comics. Inversement on trouve aussi toute une panoplie de série décalées, à l'humour absurde et potache, et qui autrefois aurait vraisemblablement subit les foudres de la bien-pensance. Et malgré tout, beaucoup continuent de chercher ces numéros de Nova (petits formats délétères, qui ne rendent certes guère hommage au talent de Byrne sur les Fantastic Four, ou de Buscema sur le Surfer) ou de Special Strange, qui fleurent bons les années 70 et 80. Moi le premier, qui ne possède plus grand chose de l'ère Lug/Semic (j'ai conservé uniquement les RCM et Top Bd les plus marquants) je ne peux m'empêcher, dans une brocante, de feuilleter les fascicules que je trouve à la vente, et de ressentir un pincement au coeur en chaque occasion.
Il est vrai qu'à force de noyer l'offre (avez-vous vu le nombre de sorties mensuelles, entre kiosque et librairie, tous éditeurs confondus? Il faudrait contracter un pêt bancaire chaque trimestre pour s'en sortir...) on finit par perdre de vue l'exceptionnalité, le sentiment d'avoir entre les mains quelque chose de précieux, qui défie la routine, qui échappe à l'ordinaire. Et qui existe en dehors de toute idée de spoiler, à l'ère d'Internet où nous savons déjà comment se terminent les sagas en cours, avant d'avoir commencé à les lire. Strange, c'était tout cela. Une présentation anarchique, un savoir faire artisanal au service d'un univers super héroïque qui n'avait encore que 15/20 ans d'histoires derrière lui, et pouvait surprendre, innover, dérouter, dans une société où le merveilleux n'était pas encore derrière chaque porte, avec une surenchère permanente dans le coup d'éclat, la violence, le marketing, l'esbroufe. Strange c'est un peu la période punk des comics, celles des fiches détachables en guise d'encyclopédie majeure, des couvertures magnifiques de Frisano, qui feront l'objet d'une exposition fort attendue au prochain festival d'Angouleme. Strange, c'est ce passé forcément revisité et magnifié, alors qu'il n'est pas aussi reluisant que cela, mais qui n'a rien à envier à notre présent, où abondance et modernité ne signifient pas toujours félicité. Si j'aime et apprécie grandement ce qu'est l'offre et la variété impensable ces jours-ci, en terme de comics, j'ai aussi la certitude d'avoir commencé quand il le fallait, la bénédiction d'avoir passé mes toutes jeunes années avec le tisseur de toile et tête de fer, plutôt qu'avec Fortnite.
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