Les couloirs aériens (Etienne Davodeau – Joub – Christophe Hermenier – Editions Futuropolis)
Pendant toute sa jeunesse, Yvan s’est demandé à quoi ressemblerait sa vie une fois atteint le cap de la cinquantaine. Maintenant qu’il y est, la réponse est carrément décevante. « Le temps a passé. Le bide a poussé. Les cheveux se sont tirés. Les enfants sont arrivés puis se sont tirés aussi. Bref, on y est », soupire Yvan. En même temps, il a de quoi se plaindre, car il traverse une très mauvaise passe. En peu de temps, il a perdu son travail, sa mère et son père. Quant à sa femme, c’est presque comme s’il l’avait perdue, elle aussi. Depuis qu’elle travaille à Taïwan, ils ne se voient quasiment plus jamais, si ce n’est par Skype. Même chose pour Aude et Martin, les enfants d’Yvan. Avec les années qui ont passé, ils ont forcément quitté le nid. Elle travaille pour une association à Paris, lui a fondé sa start-up au Canada. Du coup, ils ne prennent plus beaucoup de nouvelles de leur papa. Pour tenter de remettre un peu d’ordre dans ses idées et dans sa vie, Yvan s’est réfugié dans le Jura, chez ses amis Thierry et Sandra, histoire de recouvrir le monde réel et ses emmerdements d’une épaisse couche de neige. Mais en réalité, c’est tout le contraire qui se passe. Malgré tous ses efforts pour faire bonne figure, Yvan se sent plus déprimé que jamais. Même ses vieux potes n’ont pas le temps de venir le voir. Pour ne rien arranger, il vit au milieu de dizaines de cartons provenant de son ancien appartement parisien et de celui de ses parents décédés. Pas facile de repartir de l’avant quand on est entouré de caisses pleines de fantômes du passé…
Comme le soulignent les éditions Futuropolis, l’album « Les couloirs aériens » marque le grand retour d’Etienne Davodeau à la fiction, dix ans après « Lulu femme nue ». Cela dit, la réalité n’est jamais très loin chez l’auteur des « Ignorants », qui parvient mieux que quiconque à raconter la « petite musique du quotidien ». Le point de départ de cette nouvelle BD, qu’il co-signe avec ses amis d’université Joub et Christophe Hermenier, est une fête d’anniversaire bien réelle à laquelle les trois étudiants se sont rendus dans les années 80. C’était une soirée organisée par un ami qui fêtait ses cinquante ans. Avec toute l’insolence de jeunes gars qui ont la vie devant eux, Etienne, Joub et Christophe se sont dit alors qu’à cinquante ans, « t’es un mec presque fini ». Cette phrase, ils ne l’ont jamais oubliée. Aujourd’hui, les trois compères ont atteint eux-mêmes ce fameux cap de la cinquantaine. Et comme le personnage d’Yvan dans la BD, Christophe a vécu ce virage très difficilement, en perdant son boulot et ses parents. Ce sont d’ailleurs ses photos que l’on peut voir dans la BD puisqu’avant de mettre en vente le logement de ses parents, il a photographié minutieusement tous les objets de leur quotidien, comme pour raconter la vie qui passe. En intégrant ces images réelles très touchantes dans un récit de fiction particulièrement crédible, Davodeau, Joub et Hermenier dressent un portrait très juste de leur génération, en n’oubliant pas d’y insuffler une bonne dose d’humour et d’amour. On sent qu’ils ont mis beaucoup d’eux-mêmes dans le personnage d’Yvan, un quinquagénaire déboussolé qui, petit à petit, va reprendre pied. « Les couloirs aériens » est un livre plein d’humanité, qui parlera certainement à tous ceux qui ont franchi le cap des 50 ans… mais également à tous ceux pour lesquels cet âge paraît encore très lointain!