Autant vous le dire tout de suite, J.-K. Huysmans fait partie de mes écrivains favoris et cette année je suis comblé, une Pléiade vient de paraître avec ses principales œuvres et le musée d’Orsay lui consacrera une exposition à la fin de ce mois. Ayant déjà lu ses grands romans (A rebours, En rade, Là bas, En route etc.) j’ai entamé le bel ouvrage de chez Gallimard par le commencement, c'est-à-dire ce premier roman, très court au demeurant et qui fut interdit en France en son temps.
Comme l’indique son sous titre, histoire d’une fille, dans le langage de l’époque le roman nous conte le parcours de Marthe, une prostituée. Ouvrière dans une usine de perles à Paris, elle connait une première déception sentimentale avec la mort de son amant et de leur enfant, elle tombe alors dans la prostitution puis semble s’en sortir quand elle rencontre Ginginet directeur d’un théâtre qui l’engage pour sa belle figure et partage sa couche. Une nouvelle chance s’offre à elle avec Léo, un écrivain en herbe et sans le sou qui l’aime réellement. Mais il est dit que le Destin n’a pas prévu le bonheur pour Marthe, leur liaison bat de l’aile quand le quotidien éteint la passion et malgré les efforts des uns et des autres pour la sauver, la jeune femme sombre dans l’alcoolisme et s’échoue, à jamais certainement, dans une maison de passes.
Si Marthe est un roman mineur de l’écrivain - lui-même avait envisagé un temps de le réécrire - avec ses défauts, j’y ai néanmoins trouvé matière à me réjouir. Tout d’abord, il y a cette « musique » commune à tous les romans du XIXème siècle que je vénère, une écriture ample et longue en bouche, avec ici les prémisses de ce que sera son style à venir, des phrases très travaillées, des mots rares ou bien pour nous aujourd’hui, des expressions datées qui n’en sont que plus savoureuses encore (« C’était un crapoucin bonasse et un jovial compère… »).
Roman social d’un réalisme pessimiste, une femme du peuple, les petits ateliers parisiens et les gens ordinaires, la prostitution comme une évidence pour nombre de ces femmes, les bistros et la faune qui s’y abreuve etc. Tout ceci vous semble familier car vous l’avez lu chez Zola (Nana) ou éventuellement Maupassant (Boule de suif) par exemple, mais ces écrits datent de 1880, donc postérieurs au livre de Huysmans. Que vous lisiez ce roman ou non, qu’importe, mais lisez J.-K. Huysmans, il le mérite et vous le valez bien.
« Elle allait alors à vau-l’eau, mangeant à même ses gains de hasard, souffrant le jeûne quand la bise soufflait. — L’apprentissage de ce nouveau métier était fait ; elle était passée vassale du premier venu, ouvrière en passions. Un soir, elle rencontra dans un bal où elle cherchait fortune en compagnie d’une grande gaupe, à la taille joncée et aux yeux couleur de terre de sienne, un jeune homme qui semblait en quête d’aventures. Marthe, avec sa bouche aux rougeurs de groseille, sa petite moue câline alors qu’il la lutina, sa prestance de déesse de barrière, son regard qui se mourait, en brûlant, affama ce naïf qu’elle emmena chez elle. Cet accident devint bientôt une habitude. Ils finirent même par vivre ensemble. Chassés d’hôtels en hôtels, ils se blottirent dans un affreux terrier situé rue du Cherche-Midi. »