Ahmet Altan à sa sortie de prison. (c) Bülent Kilic - AFP.
Un tribunal turc a ordonné ce lundi 4 novembre la remise en liberté, mais sous contrôle judiciaire, du journaliste et écrivain Ahmet Altan. Incarcéré depuis septembre 2016, condamné à la prison à perpétuité le 16 février 2018, peine confirmée en appel le 3 mai 2019 mais condamnation annulée par la Cour de Cassation en juillet 2019, l'homme âgé de 69 ans a passé 1.138 jours derrière les barreaux (lire ici).Si la cour a condamné l'esprit critique de la société turque à une lourde peine (dix ans et demi de prison), en l'accusant d'avoir aidé une organisation terroriste (sans en faire partie), elle a statué sur sa libération, eu égard au temps qu'il a déjà passé derrière les barreaux (et sans doute aux possibilités qui lui sont ouvertes de faire appel du jugement).
L'ancienne journaliste et auteure Nazlı Ilıcak, 74 ans, a été libérée en même temps que lui, ayant été pour sa part condamnée à une peine un peu moins lourde, huit ans et neuf mois de prison.
Quant à Mehmet Altan, le frère d'Ahmet Altan qui avait été libéré en juin 2018, il est définitivement acquitté et libéré des mesures de contrôle judiciaire.
A sa sortie de prison, Ahmet Altan, ancien rédacteur en chef du quotidien "Taraf", a déclaré:
"Ils essaient de faire en sorte que les intellectuels évitent de poser des questions. Nous allons les interroger. Nous avons vu ce qu'est la prison. Si nécessaire, nous y retournerons. Ils doivent revenir à l'Etat de droit. Nous n'avons pas peur."Largement soutenu en France, notamment par son éditeur, Ahmet Altan a publié en septembre un récit de sa vie en prison, "Je ne reverrai plus le monde" (textes de prison traduits du turc par Julien Lapyre de Cabanes, Actes Sud, 224 pages). Un titre qui vient heureusement d'être démenti. Un livre de résistance qui réunit dix-neuf textes allant de son arrestation le 10 septembre 2016 à 5h42, le jour de l'Aïd, à la force illimitée de l'écrivain passe-muraille. Dans le premier texte, la phrase banale prononcée sans réfléchir dans la voiture de police qui l'emmène vers le cachot mais qui partage Ahmet Altan entre son corps et son esprit. Résistance envers et contre tout.
Le livre se termine par ces mots:
"J'écris cela dans une cellule de prison.
Mais je ne suis pas en prison.
Je suis écrivain.
Je ne suis ni là où je suis, ni là où je ne suis pas.
Vous pouvez me jeter en prison, vous ne m'enfermerez jamais.
Car comme tous les écrivains, j'ai un pouvoir magique: je passe sans encombre les murailles."
Les lettres sont des merveilles à lire. Bien sûr, elles racontent l'arrestation, la prison, les souvenirs, l'audition, le verdict. Mais ce ne sont que les filigranes car on découvre surtout la formidable pensée, les débats d'idées, les émotions, les espoirs et les moments de découragement d'un homme qui n'a jamais rien lâché d'aucune de ses valeurs. Un recueil sans pathos qui n'en est que plus glaçant dans la description d'une prison turque, telle que voulue par le régime en place.