On voit doucement arriver la fin de la saison des prix 2019. Karine Tuil a remporté hier, mercredi 13 novembre, l'estimé prix Interallié, et aujourd'hui, jeudi 14 novembre, le Goncourt des lycéens, avec "Les Choses humaines" (Gallimard, 348 pages), son onzième roman. Un texte puissant, haletant, qui démonte la mécanique d'un procès pour viol, le viol lui-même, les rapports entre les hommes et les femmes aujourd'hui et le milieu médiatique. Bref, le monde contemporain avec le sexe au milieu et la machine judiciaire autour.
Pour lire le début des "Choses humaines", c'est ici.
Quel est le bilan hommes/femmes au moment où les grands prix littéraires d'automne touchent à leur fin? Voyons voir les palmarès, en incluant toutes leurs catégories...
Hommes
- Grand prix du roman de l'Académie française: Laurent Binet (Grasset)
- Prix Goncourt: Jean-Paul Dubois (L'Olivier)
- Prix Renaudot: Sylvain Tesson (Gallimard)
- Prix Renaudot essai: Eric Neuhoff (Albin Michel)
- Prix Femina: Sylvain Prudhomme (Gallimard, L'arbalète)
- Prix Femina étranger: Manuel Vilas (Sous-Sol)
- Prix du Premier roman étranger: Sana Krasikov (Albin Michel)
- Prix Médicis: Luc Lang (Stock)
- Grand prix de littérature américaine: Kevin Powers (Delcourt)
Femmes
- Prix Femina pour l'ensemble de son œuvre: Edna O'Brien (Sabine Wespieser)
- Prix Femina essai: Emmanuelle Lambert (Stock)
- Prix du Premier roman français: Géraldine Dalban-Moreynas (Plon)
- Prix Décembre: Claudie Hunzinger (Grasset)
- Prix Médicis étranger: Auður Ava Olafsdottir (Zulma)
- Prix Médicis essai: Bulle Ogier et Anne Diatkine (Seuil)
- Prix Wepler: Lucie Taïeb (L'Ogre)
- Prix de Flore: Sofia Aouine (De La Martinière)
- Prix Interallié: Karine Tuil (Gallimard)
- Prix Goncourt des lycéens: Karine Tuil (Gallimard)
- Prix Renaudot des lycéens: Victoria Mas (Albin Michel)
Pas mal pour 2019 alors qu'on n'attend plus que le prix du Style et le prix Giono. Mais il n'est pas question de chanter victoire sans dénombrer le nombre de lauréates dans le palmarès des années précédentes de chaque prix. Et là, ce n'est pas la gloire. Et également tenir compte du poids de chaque prix.
On peut néanmoins saluer Gallimard qui rafle cette année Renaudot, Femina, Interallié et Goncourt des lycéens.
La littérature écrite par des femmes a aussi connu une bonne semaine en octobre quand deux d'entre elles ont été honorées conjointement par le Booker Prize 2019, la Canadienne Margaret Atwood et l'Anglo-Nigérienne Bernardine Evaristo et qu'une femme a reçu le prix Nobel de littérature 2018, la Polonaise Olga Tokarczuk.
Néanmoins, pour réfléchir plus en profondeur sur cette question, on se référera à l'essai de Geneviève Brisac, "Sisyphe est une femme" (L'Olivier, 207 pages). Une nouvelle édition plus exactement, révisée et augmentée, de son lumineux "La Marche du cavalier" (L'Olivier, 2002). "Un essai littéraire", m'avait-elle dit à sa sortie, il y a dix-sept ans, "sur les femmes écrivains qu'on ne trouve jamais en librairie. Ma question est: pourquoi les femmes n'accèdent-elles pas à la reconnaissance littéraire profonde, à une légitimité littéraire égale à celle des hommes, malgré le succès qu'elles peuvent avoir?"
Une nouvelle édition mais une colère intacte contre cette différence de traitement entre écrivains hommes et femmes. Les deux genres sont lus, aimés mais seuls les mâles résistent au temps. La première édition explorait onze manières d'écrire féminines, c'est-à-dire onze manières de penser et de sentir le monde. De Karen Blixen à Virginia Woolf en passant par Jean Rhys. "Sisyphe est une femme" met également à l'honneur d'autres grandes écrivaines, Christiane Rochefort, Doris Lessing, Natalia Ginzburg, Vivian Gornick, tout en tentant encore et toujours de cerner l'énigme de la création. Car les préjugés contre les femmes auteures sont toujours aussi forts aujourd'hui.