En deux mots:
Ça y est! Les Caradec emménagent dans leur nouvelle maison en banlieue pari-sienne. À eux la belle vie dans un écoquartier tout neuf. Mais très vite leur vision idyl-lique va faire place aux problèmes de voisinage, de tuyauteries et de couple. Mordant, ironique, bien vu!
Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)
Ma chronique:
Do-Mi-Si-La-Do-Ré
Julia Deck réussit avec «Propriété privée» une satire sociale mor-dante en mettant en scène un couple accédant à la propriété dans un écoquartier de la banlieue parisienne. Une fable aussi allègre que grinçante.
Pour de nombreux parisiens, le rêve prend la forme d’une maison à soi, loin de la pol-lution et du bruit, avec un coin de jardin et la nature à proximité. Pour les Caradec, ce rêve s’accomplit: ils ont trouvé une propriété dans la banlieue parisienne, un pavillon situé dans un écoquartier qui leur offre «ce qui se fait de mieux» pour eux qui ont la fibre écologique. Nonobstant le fait qu’il faut, comme tous ceux qui ont déjà vécu un déménagement le savent, trouver ses marques dans ce nouvel environnement, la phase de stress semble désormais passée.
Seulement voilà, ils ne sont pas les seuls à prendre possession de leur nouveau pavil-lon. Au-delà de la clôture et à peine huit jours après eux les Annabelle et Arnaud Le-coq s’installent avec leur progéniture et leur chat. Une communauté qui ne va pas tar-der à s’agrandir avec les Bohat et les Benani, avec les Lemoine, les Durand-Dubreuil dit les Dudu et les Taupin et qui vont faire de ce soi-disant coin de paradis un enfer.
Pour la narratrice, qui travaille dans un cabinet d’architecture et s’occupe notamment de la rénovation de quartiers et d’immeubles, il est difficile de reconnaître que leur choix n’était pas judicieux. Pour son mari Charles, qui déprime, la situation empire de jour en jour, au point de l’obséder. Le gros chat roux des Lecoq va concentrer son mal-être. Il faudra toutefois attendre près d’une demi-année avant que l’animal soit retrou-vé éventré, provoquant l’émoi du microcosme. Un fait divers qui ne va pas panser les plaies des Caradec, bien au contraire. Ils n’en peuvent plus des enfants bruyants, des travaux intempestifs, des déclarations aussi péremptoires que mal venues, du manège de l’un pour dissimuler qu’il a une relation adultère et de tous ces petits non-dits qui s’accumulent. Quand tout, y compris le compost, devient source de nouveaux tracas, il faut jeter l’éponge…
Petits détails, dialogues ciselés, conversations à l’apparence anodines se transfor-mant en poison : Julia Deck n’a pas son pareil pour appuyer là où ça fait mal et faire de cette fable vitriolée une formidable satire sociale. On se régale et on tremble, on jubile et on compatit. Une belle réussite !
Propriété privée
Julia Deck
Éditions de Minuit
Roman
174 p., 16 €
EAN 9782707345783
Paru le 01/09/2019
Où?
Le roman se déroule en France, à Paris et principalement en banlieue parisienne.
Quand?
L’action se situe de nos jours.
Ce qu’en dit l’éditeur
Il était temps de devenir propriétaires. Soucieux de notre empreinte environnementale, nous voulions une construction peu énergivore, bâtie en matériaux durables. Aux con-fins de la ville se tramaient des écoquartiers. Notre choix s’est porté sur une petite commune en plein essor. Nous étions sûrs de réaliser un bon investissement.
Plusieurs mois avant de déménager, nous avons mesuré nos meubles, découpé des bouts de papier pour les représenter à l’échelle. Sur la table de la cuisine, nous dérou-lions les plans des architectes, et nous jouions à déplacer la bibliothèque, le canapé, à la recherche des emplacements les plus astucieux. Nous étions impatients de vivre enfin chez nous.
Et peut-être aurions-nous réalisé notre rêve si, une semaine après notre installation, les Lecoq n’avaient emménagé de l’autre côté du mur.
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
France TV info (Laurence Houot)
En Attendant Nadeau (Robert Czarny)
Kroniques.com (Amandine Glévarec)
Benzinemag
Les Inrockuptibles (Sylvie Tanette)
Blog Mémo Émoi
Julia Deck présente Propriété privée © Production Librairie Mollat
INCIPIT (Les premières pages du livre)
« J’ai pensé que ce serait une erreur de tuer le chat, en général et en particulier, quand tu m’as parlé de ton projet pour son cadavre. C’était avril déjà, six mois que nous avions emménagé. Les maisons neuves rutilaient sous le soleil mouillé, les pan-neaux solaires scintillaient sur les toits, et le gazon poussait dru des deux côtés de l’impasse. Tu m’avais accompagnée à l’extérieur pendant que je rempotais les soucis sous la fenêtre de la cuisine. Les feuilles s’ébattaient entre mes mains gantées, et parmi elles les bourgeons gonflés à bloc, prêts à éclater sous la puissance des fleurs.
Tu avais réfléchi à tous les détails pour occire le gros rouquin. Comme tu les exposais tranquillement, adossé à la porte d’entrée, j’ai continué de creuser la terre sans ré-pondre. Sans doute ruminais-tu sous le coup de la colère, et tes mots n’auraient-ils pas plus de conséquence que lorsque tu t’emportes sur la cuisson de la viande ou l’accumulation de calcaire au bord de la douche. J’ai tassé la terre, étalé les racines au fond du trou. Je me suis dit que tu parlais par provocation. Que si tu avais la moindre intention de passer à l’acte, tu aurais insisté pour rentrer à l’abri des oreilles indiscrètes. Tu savais très bien qu’ici, rien ne demeurait caché. Oui, c’étaient des mots gratuits pour semer le doute, agiter l’air.
Plus tard, quand nous sommes allés nous coucher, j’ai tout de même repensé à ton idée de tuer le chat. Je me suis demandé si je serais capable de sortir la voiture du parking de l’Intermarché et de rouler jusqu’à la zone artisanale pour acheter du produit antinuisible. De me garer au sous-sol de Leroy-Merlin, consciente que j’avais en tête un meurtre, pire, un assassinat. De prendre l’escalator vers le premier étage, d’interroger habilement le vendeur afin de sélectionner le produit le plus adapté à notre projet, comme s’il s’agissait de vulgaires chaussettes au Monoprix. Je me suis demandé à quel instant le meurtrier en puissance se transforme en assassin effectif, et si j’aurais le courage de traverser la frontière.
Le plus simple aurait été que tu y ailles toi-même. Que tu prennes la voiture et que tu te débrouilles avec ton foutu plan pour tuer le chat. Mais tu n’avais pas conduit depuis des années. Tu n’allais certainement pas t’y remettre pour l’occasion.
Dans le noir, je me suis vue verser le poison, le mélanger aux boulettes de bœuf. Dé-poser la gamelle devant la porte du jardin. Attendre l’heure du gros rouquin. J’ai senti sa fourrure contre mes bras nus lorsque je le soulèverais après qu’il aurait mangé. Je me suis vue le descendre à la cave afin qu’il y agonise discrètement, puis faire ce que tu avais prévu avec son cadavre. Parce qu’il ne s’agissait pas seulement de tuer le chat. Il s’agissait de signer notre triomphe, notre accession à la propriété privée. »
Extrait:
« C’est là que nous avons aperçu le gros rouquin. Il venait de franchir la haie qui nous séparait du jardin mitoyen. D’abord il s’est contenté de raser le sol, flairant l’herbe, nous observant l’observer de biais. J’ai ouvert la porte-fenêtre et je me suis accroupie pour l’appeler avec des petits bruits de langue. Il s’est approché avec méfiance, puis il a 17 fini par venir se frotter à mes jambes tandis que je lui chatouillais le cou. Le gros rouquin a pris ça comme une invitation à visiter la maison. Tu as aussitôt objecté. Tu as déclaré que s’il entrait une fois, il serait là toujours, et que si je n’y trouvais encore rien à redire, je n’allais pas tarder à voir ce que j’allais voir. J’ai continué à lui gratter le ventre. Je n’avais que faire de tes prédictions. » p. 17-18
À propos de l’auteur
Julia Deck est née à Paris en 1974. Après des études de lettres à la Sorbonne, elle est secrétaire de rédaction pour de nombreux journaux et magazines, avant d’enseigner les techniques rédactionnelles en école de journalisme. Elle a publié quatre romans aux éditions de Minuit: Viviane Élisabeth Fauville (2012 et « double » n° 99, 2014), Le Triangle d’hiver (2014), Sigma (2017) et Propriété privée (2019). (Source : Éditions de Minuit)
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