Entre rumba et combat du siècle à Kinshasa

Par Lucie Cauwe @LucieCauwe

Blaise Ndala.


Afrique. Zaïre ou Congo selon les époques. "J'irai danser sur la tombe de Senghor" (Vents d'ailleurs, collection "Pulsations", 314 pages), de Blaise Ndala, s'y déroule au début des années 1970. Un jeune musicien du Kwilu, une province de l'ouest du pays, quitte son village natal. Sous la protection de son grand père, le vieux Zangamoyo, "le plus grand féticheur, sorcier et guérisseur du Kwilu", il rejoint la capitale du Zaïre avec le rêve d'intégrer un des grands groupes de Rumba qui font danser les Kinois. Mais la vie à Kinshasa se révèle bien plus compliquée que prévu, remplie de fourberies, d'arnaques, de superstitions, mais aussi d'échanges, d'intrigues politiques et de quelque bonnes fortunes.
Alors qu'il n'est qu'un simple villageois, initialement snobé et arnaqué par les Kinois, Modéro arrive, au gré de ses rencontres, à fréquenter les hautes sphères politiques et à côtoyer  les intimes du Guide suprême de la révolution (comprenez Mobutu). De là, il assiste à la préparation du "combat du siècle", soit la rencontre entre les célèbres boxeurs afro-américains Mohamed Ali, 32 ans, et George Foreman, 27 ans, qui se déroula le 30 octobre 1974 à Kinshasa.
Né au Congo en 1972 mais installé au Canada depuis 2007, plusieurs diplômes de droit en poche, Blaise Ndala raconte fort bien l'ambiance de Kinshasa, qui ne semble pas avoir changé depuis les années 1970. Il dépeint aussi la manière d'être spécifique aux habitants de la capitale et les "kinoiseries" diverses.
Il croque très bien les divers personnages, dans une langue vivante. Autant les arnaqueurs de bas étage, les revendeurs du marché, que les policiers qui dépouillent les paysans de leur production annuelle. Il fait vibrer l'amour des Kinois pour l'ambiance, la rumba, la danse et, bien sûr, la drague qui va de pair avec les nuits sans fin. Sans oublier de pointer la malice des hommes de pouvoir pour garder la mainmise sur les affaires politiques, les avantages financiers qui en découlent et pour plaire au Guide suprême de la révolution. Ni l'espoir des jeunes de trouver un boulot et de sortir de la misère. L'auteur ne tait rien non plus de la superstition par rapport à la sorcellerie qui se retrouve à tous les niveaux de la société de Kinshasa.
Quarante-cinq ans plus tard, tout ce que Blaise Ndala raconte dans son livre, son premier roman mais il a depuis écrit un deuxième, est toujours perceptible au Congo actuel.
L'intrigue du roman est super bien ficelée autour de Modéro, ce petit paysan qui débarque en ville. Elle donne l'occasion à l'auteur d'aborder plein d'aspects de la société kinoise, la décolonisation, la révolution de l'authenticité de Mobutu, la rivalité entre les leaders politiques de l'Afrique décolonisée sur la marche à suivre dans le panafricanisme, divers aspects historiques du combat du siècle, l'organisation du régime à parti unique.
Le titre est en lien entre les rivalités entre Mobutu et Senghor, le président du Sénégal, pressenti alors pour entrer à l'Académie française. Le Guide suprême a alors l'idée du combat du siècle pour internationaliser sa politique. Un deuxième combat en quelque sorte, entre le soldat et le poète. "J'irai danser sur la tombe de Senghor" montre aussi bien la dureté de la vie au Congo que le fait que tout est possible dans cette anarchie et ce chaos.
Ce livre très construit est sorti il y a cinq ans au Canada, aux éditions L'interligne. C'est une joie qu'il soit désormais également accessible sous nos latitudes.