Rentrée littéraire · hiver 2020 · repérage
Par Marie-Claude Rioux
V’la que les parutions de l’hiver commencent à pointer leurs bouts de couverture. Plusieurs romans enfin traduits arriveront bientôt, dont le nouveau roman de Colson Whitehead. Sans parler du retour de David Vann, cette fois avec un recueil de nouvelles. De nombreuses tentations au programme, avec de nouveaux venus et le retour d’auteurs aguerris. Je laisse les quatrièmes de couverture faire leur boulot.
DES RETROUVAILLES VIVEMENT ATTENDUESNICKEL BOYS – COLSON WHITEHEAD – ALBIN MICHELOrphelin noir dans l’Amérique des années 1960, Elwood Curtis vit chez sa grand-mère à Tallahassee, en Floride. Alors qu’il rêve d’entrer à l’université, il se retrouve à la Nickel Academy, une maison de correction qui inflige des traitements inhumains à ses pensionnaires. En 2012, des fouilles révèlent des cadavres d’enfants enterrés dans des tombes anonymes et des rescapés témoignent.
11 H 14 – GLENDON SWARTHOUT – GALLMEISTER
Jimmy ne sait rien refuser à son ex-femme Tyler. Même quand elle lui demande de se rendre au Nouveau-Mexique enquêter sur la mort de son amant, il finit par céder. Il est vrai que l’histoire est intrigante: Tyler est persuadée qu’il s’agit d’un meurtre, dernier rebondissement de la tragédie sanglante qui a opposé ses deux grands-pères au début du siècle. Jimmy débarque donc à Harding, la petite ville natale de Tyler, avec son look new-yorkais et sa Rolls de collection. Et la trouille au ventre. À juste titre d’ailleurs, car très rapidement, on essaie de le tuer lui aussi.
CE LIEN ENTRE NOUS – DAVID JOY – SONATINECaroline du Nord. Darl Moody vit dans un mobile home sur l’ancienne propriété de sa famille. Un soir, alors qu’il braconne sur des terres voisines, il tue accidentellement un membre du clan Brewer, connu dans cette région désolée des Appalaches pour sa violence et sa cruauté, il craint pour sa vie et celle de ses proches. Une seule personne peut l’aider: son meilleur ami, Calvin Hooper. Mais Dwayne Brewer, à la recherche de son frère disparu, a vite fait de remonter la piste jusqu’à Darl et Clavin. Pour eux, la descente aux enfers ne fait que débuter.
Avec ce roman poignant comme une chanson de Springsteen, David Joy nous livre un nouveau portrait noir et sans concession des Appalaches. Quelle rédemption pour ces régions violentes et magnifiques, bénies par la nature, mais réduites au désespoir?
LE PETIT-FILS – NICKOLAS BUTLER – STOCKAprès trente ans à travailler dans un petit commerce, Lyle vit désormais au rythme des saisons avec sa femme Peg, dans leur ferme du Wisconsin. Il passe ses journées au verger où il savoure la beauté de la nature environnante. Leur fille adoptive, Shiloh, et leur petit-fils bien aimé, Isaac, se sont récemment installés chez eux, pour leur plus grande joie. Une seule ombre au tableau: depuis qu’elle a rejoint les rangs des fidèles de Coulee Lands, Shiloh fait preuve d’une ferveur religieuse inquiétante. Cette église, qui s’apparente à une secte, exige la foi de la maison entière et Lyle, en proie au scepticisme, se refuse à embrasser cette religion. Lorsque le prédicateur de Coulee Lands déclare qu’Isaac a le pouvoir de guérison, menaçant par là-même la vie de l’enfant, Lyle se trouve confronté à un choix qui risque de déchirer sa famille.
Interrogeant les liens filiaux, la foi et la responsabilité,
Le petit-fils dépeint avec justesse, tendresse et amour le combat d’un couple de grands-parents prêts à tout pour leur petit-fils.LE BLEU AU-DELÀ – DAVID VANN – GALLMEISTERRoy est encore un enfant lorsque son père, James Fenn, dentiste et pêcheur professionnel raté, se suicide d’une balle dans la tête. Tout au long de sa vie, Roy ressassera ce drame qui deviendra son obsession mais aussi une source, douloureuse, d’inspiration. Comment se créent et se transmettent des légendes familiales? Quelles histoires notre mémoire choisit-elle de garder et sous quelle forme? À partir de quelques moments intimes éparpillés dans le temps – faiblesses, infidélités, désirs, contemplations – se met en place une histoire de perte, d’amour tendre et de retrouvailles imaginaires dans les espaces sauvages de l’Alaska.
PLACE AUX DÉCOUVERTESALLEGHENY RIVER – MATTHEW NEILL NULL – ALBIN MICHELDans Allegheny River, animaux et humains cohabitent au fil du temps, dans un équilibre précaire, au sein d’une nature ravagée par la main de l’homme. Tour à tour épique et intimiste, c’est un univers de violence et de majesté qui prend vie sous la plume lyrique et puissante de ce jeune écrivain. Ce livre, récompensé par le prix Mary McCarthy, acquiert une dimension universelle, car si le monde qui y est décrit peut nous sembler lointain, une chose est certaine: il s’agit bien du nôtre. Singulières et puissantes, ces nouvelles, ancrées dans la région des Appalaches, résonnent d’une inquiétante actualité.
AIRES – MARCUS MALTE – ZULMAIls sont sur l’autoroute, chacun perdu dans ses pensées. La vie défile, scandée par les infos, les faits divers, les slogans, toutes ces histoires qu’on se raconte – la vie d’aujourd’hui, souvent cruelle, parfois drôle, avec ses faux gagnants et ses vrais loosers. Frédéric, lanceur d’alerte devenu conducteur de poids lourds, Catherine, qui voudrait gérer sa vie comme une multinationale du CAC 40, l’écrivain sans lecteurs en partance pour «Ailleurs», ou encore Sylvain, débiteur en route pour Disneyland avec son fils… Leurs destins vont immanquablement finir par se croiser. Un roman caustique qui dénonce, dans un style percutant à l’humour ravageur, toutes les dérives de notre société, ses inepties, ses travers, ses banqueroutes. Et qui vise juste – une colère salutaire, comme un direct au cœur.
IDIOT WIND – PETER KALDHEIM – DELCOUT
J’avais 37 ans, j’étais sans emploi et fauché. Pour couronner le tout, j’étais sans abri, excepté le casier où je conservais mes fringues et mes affaires de toilettes à Penn Station. Bref, ma vie n’avait rien de glorieux, il fallait juste y survivre, et pour ça, je n'avais personne d'autre à blâmer que moi et mes complices: l’alcool, la cocaïne et un travers bien ancré que mon vieux professeur de philosophie grecque aurait appelé akrasia - une faiblesse de caractère qui pousse certain à agir contre le bon sens. Si le grec n’est pas votre truc, appelez-le comme Bob Dylan: idiot wind.
Le 26 janvier 1987, une énorme tempête s’abat sur New York quand Peter Kaldheim fuit la ville et Bobby Bats, le dealer impitoyable auquel il doit pas mal d’argent... Il le sait, il n’y aura pas de retour possible. Il saute dans le dernier bus en partance. Commence alors pour lui une vie d’errance. Sans un sou et sans domicile, il entreprend de traverser le pays en stop. Alors que les kilomètres défilent, c’est aussi un portrait de l’Amérique qui se dessine à travers les vies minuscules des chauffeurs qui lui instillent une nouvelle «sagesse» et l’aident à s’ouvrir de nouveau aux autres.
APRÈS LE MONDE – ANTOINETTE RYCHNER – BUCHET CHASTELNovembre 2022. Un cyclone d’ampleur inédite ravage la côte ouest des États-Unis. Incapables de rembourser les dégâts, les compagnies d’assurance font faillite; à leur suite, le système financier américain s’effondre, entraînant dans sa chute le système mondial. Plus d’argent disponible, plus de sources d’énergie, des catastrophes climatiques en chaîne, plus de communications… En quelques mois, le monde entier tel que nous le connaissons est englouti.
Antoinette Rychner s
’est inspirée des théories de la «collapsologie» pour bâtir ce roman. S’y déroulent en alternance les aventures de quatre personnages qui tentent de survivre dans une société condamnée à réinventer ses propres logiques, parfois au prix de la barbarie; et une «épopée» chantée par deux femmes, le soir à la veillée. Ce récit des origines raconte l’avant et l’après-catastrophe, soulevant concrètement des interrogations politiques, humaines et sociales: l’humanisme est-il l’apanage des sociétés qui vont bien? Ou est-il possible d’inventer, au cœur même du désastre, de nouvelles façons de vivre ensemble et d’habiter le monde? Un roman visionnaire et inspirant, alors que les questions environnementales sont devenues incontournables.LAKE SUCCESS – GARY SHTEYNGART – DE L’OLIVIERÀ 43 ans, Barry Cohen, New-Yorkais survolté à la tête d’un fonds spéculatif de 2,4 milliards de dollars est au bord du précipice. Sous le coup d’une enquête de la Commission boursière, accablé par la découverte de l’autisme de son jeune fils, il prend une décision aussi subite qu’inattendue et embarque dans un car Greyhound. Destination: le Nouveau-Mexique où demeure celle qui fut jadis son premier amour, et avec qui il imagine pouvoir refaire sa vie. Une vie plus simple, plus saine, plus heureuse. Commence alors une folle traversée du continent. D’est en ouest, de highways en freeways, Barry découvre une autre Amérique: celle des pauvres, des marginaux, des déclassés. Pendant que sa femme, Seema, entame une liaison avec un romancier, Barry fonce vers une improbable rédemption.
Sans se départir de son humour loufoque, Gary Shteyngart dresse le portrait d’une Amérique déboussolée, à la veille de l’élection de Donald Trump, et nous entraîne dans un road-trip qui tient plus des montagnes russes que du voyage d’agrément.
BASSE NAISSANCE – KERRY HUDSON – PHILIPPE REYKerry Hudson est née en 1980 dans les quartiers populaires d’Aberdeen, en Écosse, d’une mère vulnérable, isolée et sans emploi, et d’un père alcoolique et absent. De centres d’accueil en bed and breakfast, sa petite sœur, sa mère et elle ont connu pendant près de 20 ans la précarité extrême, les queues le lundi matin aux caisses d’allocation, la détresse et la violence familiale. Aujourd’hui, Kerry est une femme mariée de quarante ans, qui a écrit deux romans et a voyagé de par le monde. Mais elle n’oublie pas l’enfant qu’elle a été. Dans cette autobiographie, Kerry Hudson revient avec humour et fierté sur les lieux où elle a grandi, puise dans ses souvenirs et pose un regard acéré sur les inégalités de classe actuelles et les moyens de s’élever. S’abstenant de tout jugement et sentimentalisme, elle cherche à comprendre, à donner voix aux exclus et aux invisibles dont elle a un jour fait partie. Basse naissance est un texte courageux sur la pauvreté, un récit aussi drôle que bouleversant sur l’urgence
LE VOLONTAIRE – SCIBONA SALVATORE – CHRISTIAN BOURGOISTout commence par une découverte: un petit garçon de cinq ans erre seul dans l’aéroport d’Hambourg. De toute évidence, il a été abandonné par ses parents. Pourquoi? Pour résoudre ce mystère, il nous faut retourner dans le temps et s’attarder sur un autre destin: celui de Vollie Frade, dit «Le Volontaire», un homme âgé vivant au Nouveau-Mexique et au passé lourd de secrets. Bien des années plus tôt, il s’est engagé pour la guerre du Vietnam, dans le but de se perdre et de disparaître. Et a ainsi, sans le savoir, déclenché une chaîne d’événements qui le mèneront des jungles du Cambodge (où il sera soldat) au quartier de Queens à New York et à une curieuse communauté hippie dans le Nouveau-Mexique. Où qu’il aille, Vollie Frade cherche un sens à sa vie, un lieu à habiter pleinement et une famille d’élection. Une quête qui pourrait le mener à la tragédie. Balayant plusieurs décennies, Le Volontaire trace le portrait de personnages marginaux et inoubliables. Avec son écriture âpre et lyrique, Salvatore Scibona nous livre un grand roman dans la plus pure tradition américaine et explore sur trois générations la nature des relations filiales.
DANS LA PRISON EN FLAMMES – JASON CHAPMAN – AUTREMENTDans la prison de Westbrook, quelque part dans l’État de New York, une émeute éclate: c’est une mutinerie. Un détenu fort en gueule s’est barricadé dans la salle informatique où il travaille à la revue littéraire qu’il a fondée derrière les barreaux. Déterminé à ne pas rôtir sans rien dire, il se lance sur Internet dans une dernière diatribe, virulente invective adressée au monde entier. Comment cet émigré sri-lankais devenu portier sur Park Avenue a-t-il échoué en taule? Est-ce lui qui a déclenché l’incendie? Dans la prison en flammes, les livres engloutis au cours de sa vie finiront-ils par lui servir à quelque chose? Et tandis que le danger se rapproche, Twitter s’enflamme pour ce huis clos en live. Ce premier roman acide est un petit bijou d'humour (noir).
SAUF QUE C’ÉTAIT DES ENFANTS – GABRIELLE TULOUP – PHILIPPE REYUn matin, la police entre dans un collège de Stains. Huit élèves, huit garçons, sont suspectés de viol en réunion sur une fille de la cité voisine, Fatima. Leur interpellation fait exploser le quotidien de chacun des adultes qui entourent les enfants. En quoi sont-ils, eux aussi, responsables? Il y a les parents, le principal, les surveillants, et une professeure de français, Emma, dont la réaction extrêmement vive surprend tout le monde. Tandis que l’événement ravive en elle des souvenirs douloureux, Emma s’interroge: face à ce qu’a subi Fatima, a-t-elle seulement le droit de se sentir victime? Car il est des zones grises où la violence ne dit pas toujours son nom… Avec beaucoup de justesse, Gabrielle Tuloup aborde la question de l’abus sexuel dans notre société. Le lecteur, immergé dans l’intimité de personnages confrontés à la notion de consentement et aux lois du silence, suit leur émouvante quête de réparation.
SANKHARA – FRÉDÉRIQUE DEGHELT – ACTES SUDSans aucune attirance pour ce genre de pratique et par hasard convaincue par un ami, Hélène qui traverse avec son mari un passage très difficile, part pour onze jours s’enfermer dans le silence d’une méditation Vipassana. De cela, elle ne dit rien à personne. Elle laisse ses enfants, des jumeaux de cinq ans, en ayant auprès d’eux méticuleusement organisé son absence mais son mari Sébastien ne peut comprendre cet abandon qu’il interprète comme une trahison. Pendant onze jours Hélène va découvrir le fonctionnement de tout être grâce à son étrange retraite. Sébastien, de son côté, traverse littéralement un chaos, intime et professionnel. Hélène revient le 16 septembre 2001. Ce livre confronte le plus intime au plus politique des engagements humains. Il interroge ce que l’individu peut espérer trouver en lui de ressources et de conscience pour tenter de voir et de dire le monde sans être abusé par la conformité et le pouvoir des médias.
AUX ARMES – BORIS MARME – LIANA LEVIUn beau matin à la fin de l’hiver, dans les couloirs d’un établissement scolaire américain, des bruits semblables à des tirs d’arme à feu résonnent subitement. Alerté, l’officier responsable de la surveillance, Wayne Chambers, accourt sur les lieux, mais demeure figé à proximité du bâtiment, derrière la porte où semblent se produire les déflagrations. Tétanisé, il hésite à en franchir le seuil. Doutes sur la provenance des balles? sur la conduite à tenir? peur? Quand la fusillade prend fin, il n’est pas entré dans les classes où sont étendus les corps de quatorze jeunes élèves, mais déjà réseaux sociaux et chaînes d’info s’emballent: la machine médiatique affûte ses armes. Une machine au service des voyeurs de l’actualité, des donneurs de leçon et des aspirants justiciers qui entendent s’ériger en tribunal populaire et faire un sort à cet homme que rien ne pouvait préparer à devenir un héros.
Pas mal prometteur, non? Un titre te fait particulièrement envie, toi?