Le roman des Goscinny
Naissance d'un Gaulois
Scénario et dessin de Catel
Préface d'Anne GOSCINNY
Éditions Grasset, août 2019
344 pages
Thèmes : Biographie, Famille, Histoire, Mémoire, Témoignage, Transmission, Amitié
Si je vous dis " Goscinny ", vous me répondez ? ...
Pour ma part, je réponds d'emblée " Astérix ", tant le petit héros gaulois a marqué mon enfance.
Mais Goscinny, ce n'est pas seulement " Astérix ", comme pourrait (peut-être) le laisser penser le sous-titre de ce roman graphique. Car du Gaulois, il n'en est finalement que peu question.
Un jour, il s'est fait traiter de " chauvin " par un journaliste parce qu'il avait créé l'archétype du Gaulois.
Ça l'a rendu fou de rage ! Il a dû se défendre en expliquant qu'il avait passé toute sa jeunesse non pas en France, mais en Argentine !
C'est simple, c'est la première leçon d'Histoire des Français !
Parole d'Italien !
Oui, " nos ancêtres les Gaulois " !
Même en Argentine on apprend ça !
Je ne savais rien de l'homme qu'était Goscinny avant de le lire sous la plume de Catel. Et sa vie vaut bien un roman graphique, le faisant devenir, à son tour, héros de BD !
Mais Catel, qui a pour objectif de mettre en avant des femmes grâce à ses biographies, a dû trouver un subterfuge (un peu alambiqué) pour respecter son credo et accéder à la demande de son amie, Anne Goscinny, fille unique de René, et elle-même écrivaine et scénariste de BD.
Ainsi, la fille raconte son père à Catel, et René se raconte (grâce aux archives consultées par Catel), et ainsi s'alternent les chapitres et les couleurs de fond, visibles dès la couverture.
Bleu pour lui, jaune pour elle.
S'intercalent des reproductions de croquis et de dessins de René tout au long de sa vie, des scénarios et planches de BD, des photographies redessinées par Catel, des courriers dactylographiés, des journaux qui l'ont publié, etc.
Un des malheurs de la vie, c'est quand on prend les gens au sérieux.
Quand vous avez des coups durs dans l'existence, ce qui vous sauve, c'est le rire.
Ainsi découvrons-nous...
Sa naissance à Paris le 14 août 1926.
Sa famille, juive, originaire de Pologne et d'Ukraine.
Son enfance et adolescence à Buenos Aires.
Son frère aîné, Claude, qui n'a de cesse de l'appeler " le débile ".
Son envie de rire et de faire rire, par le dessin.
Les échos de la guerre en Europe.
La tragédie collective était pour eu une tragédie individuelle.
(Et de me renvoyer au Ghetto intérieur de Santiago H. Amigorena).
Le décès de son père, un soir de Noël, sa relation fusionnelle avec sa mère, par delà le temps et les mers.
Son départ pour les États-Unis, les différents métiers exercés jusque dans la publicité, les nombreuses rencontres, les amitiés, la précarité.
Son humour, sa bonne humeur, sa joie d'être publié, ses petites ruses.
L'incorporation sous les drapeaux français.
L'arrivée en France puis celle en Belgique.
La révélation par et avec l'écriture de scénarios.
Lucky Luke, Pilote, Le Petit Nicolas, Iznogoud, pour ne citer que ceux-là.
La rencontre sur le tard avec la femme de sa vie et sa paternité.
Catel a fourni un impressionnant travail de documentation, de compilation et de retranscription qui a duré quatre ans. Elle nous les rend visibles grâce à une mise en abyme dans laquelle elle se met en scène, entourées d'archives de journaux, de biographies...
Elle insère des détails comiques dans ses dessins, mais aussi des clins d'œil ou références à ces différentes époques et influences (l'Art Déco par exemple).
Son trait est rond et doux. J'aime beaucoup.
Elle nous rend René Goscinny vivant et dresse le portrait d'un homme généreux, souriant, blagueur, courageux, rêveur, aimant et aimé.
Elle livre une histoire intime, familiale, de transmission, de douceur, et de douleurs.
Car, ce roman graphique, " des Goscinny ", c'est aussi une manière pour Anne Goscinny de se trouver elle-même.
En tant qu'orpheline, en tant que fille de, en tant que femme, en tant qu'autrice...
Et l'on mesure le cheminement entre le prologue et l'épilogue, colorés de rose.
Tu sais, Catel, quand on fait ce métier, se faire un prénom est peut-être aussi difficile que de se faire un nom...
De ce métier, il en est justement aussi grandement question.
Non pris au sérieux, la place occupée par ses grands noms, la loi de 1949 en France qui restreint grandement les possibles et impacte jusqu'à la bande dessinée belge, les liens avec la presse...
On le voit évoluer, changer, selon les lieux où René a exercé, on découvre les différents marchés, les différentes attentes du lectorat comme les aspirations des scénaristes et dessinateurs. Et leurs revendications pour un meilleur statut professionnel et social.
C'est passionnant !
Pour conclure, Le roman Des Goscinny est un récit sincère et captivant, et un hommage vibrant.
A découvrir, tout comme il m'a donné envie de découvrir l'écriture d'Anne Goscinny.