Reflets des jours mauves

Reflets des jours mauves

Reflets des jours mauves - Gérald Tenenbaum

Éditions Héloïse d'Ormesson (2019)
Le professeur Lazare vient d’être félicité par ses pairs, par le président de l’université Paris-Diderot, par le maire d’arrondissement, à l’occasion d’une cérémonie en son honneur. Chef de service à la Pitié-Salpêtrière, chercheur renommé dans le domaine de la génétique, auteur d’avancées majeures dans la cartographie du génome, il goûte peu les compliments. Alors qu’il a réussi à s’isoler dans un coin de la salle, prétextant la fatigue et l’excès d’émotion, il est abordé par un jeune homme, Éthan, qui prétend être envoyé par un journal, le Lancet. Lazare tente de le déstabiliser en faisant dériver la conversation vers l’originalité d’un arbre visible de la baie vitrée près de laquelle il est installé, puis vers l’observation d’un corbeau perché sur une de ses branches. Cela ne perturbe pas le jeune journaliste, qui ne cherche pas à orienter le dialogue pour en tirer un bon papier, mais qui laisse Lazare mener l’échange vers où il le souhaite. Plus tard, réfugiés au sous-sol d’un bar de nuit, ils acceptent dans leur tête à tête les quelques clients de l’endroit, tous attentifs aux confidences de Lazare, qui a décidé cette nuit-là de raconter un épisode où ses vies professionnelle et privée se sont entremêlées et où le choix qu’il a privilégié lui a fait perdre la femme qu’il aimait.
C’est un livre court, moins de 200 pages, et pourtant, quelle richesse ! Il me semble que l'on peut le lire et le relire plusieurs fois, en s'attachant à chaque fois à un thème particulier et que l'on perçoit l'histoire d'une façon différente. J'ai été très intéressée par le côté scientifique du roman, les avancées de la génétique, la possibilité de lire dans les gênes le parcours probable d’un individu, de connaitre ses faiblesses, de savoir prédire le terme de son existence. Placé devant un savoir qui devient terrifiant lorsqu’il concerne un être aimé, Lazare a choisi de se taire. On comprend parfaitement son dilemme. À l’aube de la retraite, il en mesure les conséquences et alors qu’il est couvert d’honneurs, il éprouve le besoin de ternir son image et de dévoiler sa lâcheté passée. 
Le thème de la vie et de la mort est au cœur de ce roman, pilier des recherches de Lazare et des interrogations de Rachel. Il est aussi central dans la vie de certains personnages secondaires, une chercheuse qui en Argentine est aux côtés des Grands-mères de la place de Mai ; l’autre, une amie de Rachel, est une rescapée des massacres rwandais.
La présentation des recherches et des découvertes de Lazare est passionnante, j'ai aimé découvrir la façon dont il progresse dans ses hypothèses, les relations avec les autres chercheurs, les stratégies qu’il faut mettre en place pour obtenir des crédits et des autorisations
Le personnage de Rachel est très émouvant et reste énigmatique. La jeune photographe lumineuse au regard améthyste est seule au monde, elle cherche dans son intégration au programme de recherche de Lazare un moyen de découvrir ses origines et de savoir qui est son père.
J'ai apprécié que l'auteur laisse une partie de l'histoire dans l'ombre. Grâce à quelques indices glissés furtivement au cours de la narration, le lecteur comble lui-même les ellipses et comprend qui est Ethan, ce qu’a pu être sa vie et ce que représente sa rencontre avec le vieux professeur. Qu'en attend-il vraiment ? Libre à chacun de laisser son imagination lui souffler la suite des évènements.
J’ai bien aimé aussi parcourir la ville de Rennes où j’ai terminé mes études il y a quarante ans, redécouvrir au fil des pages les noms des rues et des quartiers que je connaissais, à une époque où il n’y avait pas encore de métro et que la gare n’avait pas été refaite.
Un très beau roman à découvrir sans hésitation et à faire connaître. Merci à Gérald Tenenbaum de m'avoir donné l'occasion de le lire.
"La connaissance est un présent d’une infinie cruauté quand elle ne permet pas d’agir."
Pour lire le premier chapitre, c'est ici.
L'article de Michèle Bigot apporte un éclairage très intéressant sur les différents aspects de ce roman, et en particulier sur le thème de la Kabbale, peu familier en ce qui me concerne.