Opus 77 - Alexis Ragouneau
Viviane HamyParution : 05/09/19Pages : 256En lice pour le Prix FéminaISBN : 9791097417437
Prix : 19 €
Présentation de l'éditeur
« Un jour, dans mille ans, un archéologue explorera ton refuge. Il comprendra que l’ouvrage militaire a été recyclé en ermitage. Et s’il lui vient l’idée de gratter sous la peinture ou la chaux, il exhumera des fresques colorées intitulées La Vie de David Claessens en sept tableaux. Je les connais par cœur, ils sont gravés à tout jamais dans ma médiocre mémoire, je peux vous les décrire, si vous voulez faire travailler votre imaginaire :
L’enfant prodige choisit sa voie.
Il suscite espoirs et ambitions.
Le fils trébuche, s’éloigne, ressasse.
Dans son exil, l’enfant devient un homme.
Le fils prodigue, tentant de regagner son foyer, s’égare.
Blessé, il dépérit dans sa prison de béton.
Mais à la différence des tapisseries de New York, ton histoire est en cours ; il nous reste quelques tableaux à écrire, toi et moi, et je ne désespère pas de te faire sortir un jour du bunker. La clé de ton enclos, de ta cellule 77, c’est moi qui l’ai, David. Moi, Ariane, ta sœur. »
Note : Le titre est un hommage au concerto pour orchestre et violon de Dimitri Chostakovitch.
Chapelle Musicale Reine Elisabeth
L'auteur
Alexis Ragougneau est né en 1973.
Il fait une entrée remarquée dans le monde littéraire grâce à ses deux premiers romans policiers, La Madone de Notre-Dame et Évangile pour un gueux, parus dans la collection Chemins Nocturnes. Les lecteurs, les libraires et les journalistes se montrent enthousiastes, aussi bien en France qu’à l’étranger.
Touche à tout de génie, il décide de s’affranchir des règles pour explorer plus librement la création romanesque. Niels, un roman d’une rare puissance, voit le jour et celui-ci retient l’attention des jurés du prix Goncourt.
Pour la Rentrée littéraire 2019, l’auteur s’immisce dans les coulisses de la musique classique avec Opus 77. Au rythme des cinq mouvements de ce concerto pour violon de Chostakovitch qui a donné son nom au livre, il propose à la fois une histoire familiale pétrie de silences et de non-dits, un portrait de femme qui allie force et fragilité ainsi qu’une étude des liens qui peuvent unir l’artiste au monde.
Également auteur de théâtre, il a publié plusieurs pièces aux Éditions de L’Amandier et La Fontaine.
Source Viviane Hamy éditeur
Mon avis
C'est la musique qui est l'héroïne de ce magnifique roman, plus précisément le concerto pour violon "Opus 77" de Chostakovitch. Le roman est rythmé par ce concerto, il comprend cinq parties : Nocturne, Schenzo, Passacaille, Cadence et Burlesque.
Cette pièce de musique a cadencé la vie de la famille Claessens.
Dans cette famille, il y a le père dont on retrace ici sa vie. Tout commence le jour de son enterrement et sa fille Ariane s'apprête à entamer non pas "La marche funèbre" attendue au piano mais "Opus 77".
Ce chef illustre fut pianiste au départ, c'est comme ça qu'il rencontra à Tel Aviv, Yaël, sa femme , 17 ans plus jeune que lui, une soprano qu'il ramena en France et accompagnera longtemps avant de passer de l'autre côté du pupitre et de devenir un des plus grands chefs d'orchestre. De leur union naquirent deux enfants, David l'aîné de deux ans d'Ariane. David choisira le violon, Ariane le piano.
Une famille de musiciens mais pas toujours rose la vie à la maison !
Yaël perdra sa voix et deviendra dépressive alors que David et Ariane n'avaient toujours pas quitté l'enfance.
Pour ses 13 ans, Claessens emmènera son fils David à une vente aux enchères pour lui acquérir son violon, un Wuillaume de 1867 hors de prix, un très beau cadeau certes mais ce père froid, exigeant, distant et absent n'apportera pas l'essentiel à son fils, l'amour, l'écoute.
Un incident au Victoria Hall empêchera David de jouer "Opus 77" avec son père. David s'éloignera alors avec sa soeur Ariane comme accompagnatrice, c'est Krikorian qui le prendra sous son aile et l'inscrira au plus prestigieux concours au Monde, Le Reine Elisabeth de Bruxelles.
On sait depuis le début qu'un incident éclatera en finale mais lequel ?
C'est petit à petit, adagietto que l'on le découvrira.
On fait des aller-retours dans le temps, ce qui m'a un peu perturbée au début mais très vite l'écriture captive, elle est magnifique. La tension monte crescendo, molto crescendo, on ressent très fortement cette tension, un rythme de plus en plus intense, fortissimo qui nous fait ressentir la pression liée aux concours d'excellence.
La solitude, la pression pour un final époustouflant.
C'est le lien frère et soeur, cet amour pour la musique qui les projettera tous les deux sur le devant de la scène. La relation difficile au père est mise en avant ainsi que la difficulté et la beauté du plus beau concours musical au monde.
A lire, c'est splendide.
Ce roman fut finaliste dans le cadre du Prix Femina 2019
Ma note : 9/10
Les jolies phrases
La haine n'empêche pas la soumission bien au contraire.
Le violoniste et son violon sont censés ne faire qu'un, et le prestige de l'un déteint assurément sur l'autre. A tel point que l'on se demande parfois si ce n'est pas l'instrument qui fait le champion.
Le piano, c'est ma vie. Si je ne joue pas, je me désaccorde, je deviens cacophonie.
Rebâtir ? ... La confiance, bien sûr. En musique comme dans la vie, on ne peut s'en passer. C'est comme jouer en sourdine. Sans confiance, comprenez-vous, impossible de se faire entendre.
Dans la vie, il faut profiter du moindre atome d'oxygène, du moindre pouce de liberté, du moindre centimètre d'archet. C'est la leçon du jour.
La main est un drôle d'animal. Elle prend, touche, pince, caresse ou frappe. Elle appuie sur la partie du corps qui fait mal - ventre, poitrine, tête. Elle ausculte, elle apaise. C'est elle aussi qui serre la main de l'autre, perçoit sa chaleur ou sa nervosité. Une porte vers le monde extérieur, voilà ce qu'est la main. C'est elle encore qui vient se poser sur l'être aimé, l'homme, la femme, l'enfant. La solitude absolue est celle du toucher. Vous aurez beau jouir d'une vie sociale et professionnelle frénétique, si vous ne touchez jamais personne alors vous serez plus seul qu'une pierre. Et les pianistes, alors ? Pour eux, c'est encore pire. C'est une question de vie ou de mort. La main est leur unique moyen d'expression. La courroie de transmission qui permet d'exprimer sa sensibilité, ses sentiments, son trop-plein ou son vide abyssal, tout ce qui se passe à l'intérieur. Quand la main du pianiste est en souffrance, alors c'est le monde entier qu'il faut repeindre en noir.
Vous me suivez toujours, n'est-ce-pas ? - moi je n'y peux rien si le Reine Elisabeth est aux musiciens classiques ce que le décathlon est aux dieux du stade : une compétition de force et d'endurance où chaque note, chaque démanché, chaque coup d'archet peut vous faire trébucher.
La p 119 est magnifique lien entre le musicien et son instrument