Une décennie marquée par la diversité ?

Comme la décennie se termine, il est temps de faire le bilan. Si nous avons commencé en vous proposant 25 comics qui nous ont marqué ces dix dernières années, nous nous sommes rendus compte que malgré les avancées progressistes qui ont animé les années 2010, la diversité ne trouve qu'une place bien minime dans l'éventail des comics sortis.

Autant dire que la diversité a été un sacré mot d'ordre qui a su animé la décennie qui se termine. Elle a animé beaucoup de débats, des gens se sont levés pour la soutenir et pour faire en sorte qu'elle trouve sa place. C'est d'autant plus vrai dans les comics dans le sens où les auteurs et les autrices de cette génération ont fait en sorte de représenter plus de "minorités sociales" dans leurs récits devenant même un argument de vente chez Marvel Comics lorsque Alex Alonso en était l'éditeur-en-chef.

Si sur la toile, les débats étaient houleux à cause d'une communauté néfaste qui avait l'impression qu'on leur volait quelque chose, dans les faits cela a changé le paysage qu'on connaissait avec plus de séries adressées à des publics différents mais, aussi, des situations inédites qui changeaient vraiment les thèmes abordés dans les comics de supers - mais pas que.

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Aussi, on a vu une émerge des auteurs et autrices issues de la diversité dans les comics, surtout sur la scène indépendante ou chez les "petits" éditeurs comme BOOM! Studios ou Black Mask. Là, encore, il y a une dynamique intéressante permettant à celles et ceux qui avant devaient se limiter aux fanzines ou aux webcomics de trouver une place dans l'industrie.

Nous pouvons constater que le mouvement prend de l'importance chez les deux plus gros éditeurs de comics ,Marvel et DC Comics, avec l'importance que prennent des auteurs et autrices comme Kelly Thompson, Ta-Nehisi Coates, Jordie Bellaire, Kelly Sue DeConnick, Amy Reeder, Marguerite Bennett, Sina Grace, Steve Orlando, Tamra Bonvillain, Vita Ayala, Leah Williams, Tini Howard, Mairghread Scott, Chip Zdarsky, Kris Anka, Christopher Priest, G. Willow Wilson, Saladin Ahmed, Joelle Jones et j'en passe.

Sauf que lorsque nous avons dressé notre première liste de comics qui nous ont marqué ces 10 dernières années, la fameuse diversité qui a tant fait parlé d'elle a quasiment disparu. Pourtant, nous 5 - Paula, Wallace, Kevin, Toine Reynolds et moi-même - sommes très sensibles à la diversité. Certains ou certaines d'entre nous en faisons partie, mais tous et toutes sommes sensibles à voir des auteurs ou des autrices issues des "minorités sociales" prendre de la l'importe, ainsi qu'à voir des personnages de comics différents par leurs origines, genre ou sexualité. Toine Reynolds ne l'avait pas caché à l'annonce de la série Thor avec une femme en Déesse du Tonnerre et félicitait Rick Remender de mettre Sam Wilson dans la tenue de Captain America.

Comme le dit si bien l'expression : Don't hate the player, hate the game.

Les coups de cœur que nous avons dressés sont en effet des livres que nous avons adoré, souvent ce sont des grosses productions qui ont le droit à un traitement de faveur. Par exemple, les maisons d'édition vont associer des auteurs bankables ensemble, soit des auteurs confirmés qui sont bien souvent non-issus de la diversité. Ainsi, plutôt que de demander à des artistes comme Carmen Carnero d'illustrer les pages de Thor, ce sont à Russell Dauterman ou à Ron Garney ou à Esad Ribic qu'on va demander de le faire.

Il y a aussi un autre travers - qu'on commence un peu à voir disparaître : celui de mettre un auteur ou une autrice issue de la diversité sur un titre qui parle de celle-ci mais sur aucun autre titre. Par exemple, Sina Grace qui a écrit pour Marvel Comics seulement le titre Iceman parce que le personnage est LGBT comme lui. C'est d'ailleurs le lot quotidien des auteurs et autrices diversifiés de ne se voir offrir que ce genre de récits à raconter. Grace montre pourtant tout son talent sur Saban's Go Go Power Rangers et Ghost in L.A. chez BOOM! Studios, des titres qui ne se reposent pas sur des personnages LGBT+. Même constat pour Kelly Thompson à qui on lui a confié uniquement des titres avec des personnages féminin jusqu'à très récemment.

Certes, il est important de donner la parole aux gens issus de la diversité sur les sujets qui les concernent directement mais, les limiter qu'à ces sujets, c'est un peu triste. D'autant plus que le cas inverse - comme voir Brian Michael Bendis écrire Miles Morales ou Riri Williams - n'étonne pas. Et, il est là le problème général : les titres sur la diversité sont destinés bien souvent à un public niche dans le paysage des comics, notamment celui du Direct Market prédominé par les maisons d'éditions que nous suivons. De ce fait, le budget alloué à ces titres "diversifiés" est restreint avec un suivi éditorial moins important, des variant covers avec moins d'artistes prodigieux au lancement, le doute de voir sa série aller jusqu'au bout parce que le marketing ne suit pas l'après-lancement manque de moyens, et puis des artistes moins confirmés qui doivent aussi travailler avec des contraintes difficiles à cause du manque de budget alloué au titre. Pis encore, lorsqu'un artiste attitré sur un de ces titres commence à se faire remarquer, il est alors retiré parce qu'il va finir par coûter trop cher et qu'il vaut mieux le mettre en avant sur un titre avec plus de moyens.

Cela donne l'impression que ces titres mais aussi la présence d'auteurs et autrices diversifiées ne sont qu'une façade pour se donner de la Street Cred. En fait, Sina Grace l'a confirmé dans une lettre ouvert à ses fans. Je ne remets en la sincérité des auteurs et éditeurs de comics lorsqu'ils ont affiché plus de diversité dans leur équipe ou leurs publications, c'est plus la loi du marché qui impose le fait de devoir mettre de côté des titres différents.

Le pire dans l'histoire c'est que dans les coulisses, la diversité est bien présente avec des équipes éditoriales féminines, d'origines différentes et, même, des éditeurs ouvertement LGBT.

Quoiqu'il en soit, dans les faits, les plus gros titres, ceux qui sont mis en avant, ceux qui sont soignés par les maisons d'édition sont encore bien souvent écrits - voire dessinés - par des auteurs blancs hétérosexuels et ne mettent pas en avant la diversité. Parce qu'il ne faut pas oublier que dans une production artistique comme les comics, ce n'est pas seulement le talent des auteurs et autrices impliquées qui fait la différence, c'est aussi les moyens mis en oeuvre pour parvenir à cette fin. Il est par exemple dommage de voir que Mister Miracle a le droit à autant d'écueil alors que Martian Manhunter, titre de Steve Orlando et Riley Rossmo - soit un titre avec un personnage afro-américain écrit par un auteur LGBT, n'a pas grand chose à lui envier. Il est dommage de voir qu'un titre comme Thor nous interpelle tous et toutes au sein de l'équipe alors Black Panther de Ta-Nehisi Coates n'a pas été évoqué.

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Mais arrive-t-on vraiment à donner la chance aux auteurs et autrices issus de la diversité ? En effet, en leur demander d'écrire un titre très politisé s'adressant à la "minorité sociale" mise en avant par le titre, les histoires focalisent souvent sur cela dès les premiers numéros, notamment parce que ce sont des séries mortes-nées et parce que l'équipe éditoriale pousse dans ce sens. Il est évident que pour des scénaristes venant souvent de

Dernier point, et pas des moindres, même si nous avons beaucoup parlé des personnages diversifiés durant les années 2010, le nombre de parutions qui ne les mettent pas en avant est toujours très important. Il faut de tout pour faire un monde et il est donc normal que les personnages masculins, blancs, cisgenres et hétérosexuels aient toujours des titres. En revanche, ces titres sont malheureusement bien trop souvent écrits par des auteurs non-diversifiés. Comme le remarquait si bien Christopher Priest, on lui proposait que des titres avec des personnages d'origine africaine alors qu'il voulait également écrire les héros de son enfance comme Batman et Superman. Nous sommes par conséquents content·e·s de voir que le scénariste officie sur Deathstroke et a pu écrire quelques numéros de Justice League. De même, Ta-Nehisi Coates qui écrit en ce moment Captain America, ou Kelly Thompson qui reprend Deadpool sont des pas en avant vers l'inclusion. Mais cela reste encore très marginal.

On peut aimer la diversité, on peut soutenir des auteurs et autrices issues de la diversité, aimer lire des personnages différents et avec un meilleur traitement, mais l'industrie continue de nous proposer des titres avec des auteurs et des personnages qui correspondent aux normes d'antan. Toujours et encore...

La seconde partie de nos coups de cœur de la décennie à paraître jeudi va heureusement rééquilibrer tout cela avec des séries et des équipes créatives plus diversifiées mais, il faut admettre que si des choses ont bougé durant les années 2010 à ce sujet, la route vers une représentation équitable est encore bien longue.