Je fais rarement des lectures communes. J’ai horreur des contraintes, surtout lorsque le temps est en jeu. Mais v’la-t’y pas que Ingannmic et Autist Reading ont lancé l’idée de lire un roman de Richard Russo, ce même Russo dont je repoussais la lecture depuis belle lurette. J’ai sauté à pieds joints, même si l’épaisseur du roman m’a fait peur. C’est donc avec Un homme presque parfait, son troisième roman, que j’entre dans l’œuvre de Russo. Tout du long, je me suis sentie comme un oiseau voyeur. J’ai tout vu, tout entendu. Je serai bien restée entre ces pages le temps d’une autre semaineNorth Bath, dans le nord de l'État de New York, 1984. Cette petite ville en déclin a connu des jours plus prospères. La construction d’un parc d’attractions pourrait lui valoir à nouveau la une des magazines de tourisme, mais le projet stagne. Au cœur de cette petite communauté qui ne tient plus qu’à un cheveu, il y a l’attachante Miss Beryl, une octogénaire qui vit avec Sully, lui louant un étage de sa maison. Sully, la soixantaine claudiquante, travaille ici et là et se fait payer en dessous de la table.
Sully, c’est un cas. Têtu comme une mule, il a la malchance collée au cul. Problèmes d’argent, relations tendues avec son entourage, douleurs physiques, et j
’en passe. La venue de son fils Peter, qui rapplique avec de mauvaises nouvelles, enfoncera le clou. La porte est toute grande ouverte pour permettre aux fantômes du passé de ressurgir.Dès la fin du premier chapitre, il m’a été impossible de lâcher le pavé. C’est que je me suis attachée fort à ces hommes et à ces femmes.Russo donne de l’intensité et de la présence à tous ses personnages. Il ne les enferme jamais dans un rôle défini, il leur laisse tout l’espace nécessaire pour qu’ils puissent se démener comme un diable dans l’eau bénite. Des personnages à plusieurs facettes, avec leur singularité et leurs imperfections,loin des clichés. Même les personnages les plus détestables ont un petit quelque chose d’attendrissant. J’ai eu un gros coup de cœur pour la pétillante Mlle Beryl. Cette femme d’une lucidité tranchante n’a pas la langue dans sa poche! Ses discussions avec la photo de son défunt mari et avec un masque africain suspendu au mur sont hilarantes. Et Sully! Que dire de Sully, sinon que le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a l’art de se mettre le pied dans le plat!Ce qui m’a le plus charmé dans ce roman, c’est le doigté avec lequel Russo parvient à sublimer l’ordinaire. Il ausculte la nature humaine, examine tous ses pires penchants avec un cœur compatissant. Les marques de l’enfance, l’amour, la famille, la vieillesse sont ici ses grands thèmes de prédilection. Le style est mordant, rempli de perspicacité; tantôt l’humour se fait pince-sans-rire, tantôt la mélancolie suinte des pages. C’est d’une tristesse et d’un pathétisme à hurler de rire.Rien de novateur dans la forme, qui penche du côté d’un naturalisme traditionnel. Russo mène son intrigue en conteur aguerri. Et il ne m’en fallait pas plus pour faire mon bonheur. Dé-lec-ta-ble.Un homme presque parfait, Richard Russo, trad. Françoise Arnaud-Demir, Josette Chicheportiche et Jean-Luc Piningre, 10/18, 2002, 784 pages. [1993 - première édition]★★★★★© Brad Vest