Rencontre avec Obion, auteur de Star FiXion (Fluide Glacial)

Rencontre avec Obion, auteur de Star FiXion (Fluide Glacial)Le dessinateur brestois Obion réussit depuis maintenant des années à polir son art de l’humour percutant en strip, toujours appuyé par une envie de donner une réelle épaisseur via des ressorts comiques très travaillés. Cela s’est – bien – vu dans ses contributions à la série L’Atelier Mastodonte chez Dupuis, et son dernier album très réussi Star FiXion offre une plongée dans l’âge d’or des années 70 à Hollywood. Sous un pastiche entrecroisant films X et univers Star Wars, Obion dépeint par petites touches les affres de la création avec une belle acuité. La sortie il y a quelques semaines de ce livre chez Fluide glacial offrait une bonne occasion d’échanger un peu avec lui.

Bulle d’Encre : pour commencer, comment vous êtes vous documentés, avec ton scénariste, pour donner toute cette densité en références à Star Wars ?

Obion : Pour commencer, une petite précision, Jorge n’est pas mon scénariste, nous sommes tous les deux co-scénaristes. Nous avons écrit le scénario à deux, inventé des personnages, rebondi sur les idées de l’un et de l’autre, etc.

La documentation, c’était plus ma partie, j’ai l’impression, car j’en avais besoin à la base pour la partie dessinée de l’album, et finalement elle m’a énormément servi pour le scénario, et je me suis pris au jeu. J’ai épluché Google et Google images, des livres sur Star Wars, des interviews, des documentaires… On a pris beaucoup de plaisir à glisser ni vu ni connu des petites anecdotes sur les coulisses du film, sur George Lucas, Harrison Ford, le cinéma, les années 70, etc. C’était très amusant de chercher des connexions du type « à la même époque, en Californie, Steve Jobs lançait Apple… Il faut faire un truc là-dessus ! »

BDE : J’ai vu que des forums de fans français relayaient justement la sortie de l’album, quel public cela amène-t-il, sur vos dédicaces, par exemple ?

O : Pour le moment je n’ai pas encore eu beaucoup l’occasion de rencontrer les lecteurs. Du coup je les fantasme plutôt entre 15 et 60 ans, plutôt intelligents et raffinés, autant de femmes que d’hommes, certains fans de Star Wars, d’autres aimant simplement l’humour un peu crétin. Certains étudiants, d’autres dentistes, peut-être quelques agriculteurs… Je ne sais pas trop.
Rencontre avec Obion, auteur de Star FiXion (Fluide Glacial)

BDE : L’un des points forts de l’album, c’est je trouve la capacité à jouer d’ambiances très différentes mais bien mises en cohérence. Comment as-tu composé ces visuels ? Quel rôle là-dedans a ta colorisation ?

O : Mon travail sur les couleurs est étroitement lié au dessin. C’est entremêlé. Et très instinctif. Je construis autant mes dessins par le trait et la composition des masses que par la couleur. Certaines cases sont parfois presque entièrement colorisées avant même que je n’entame le dessin au trait des personnages. Je voulais des ambiances rétro, années 70, des couleurs vives mais un peu jaunies comme sur des photos un peu passées.

BDE : Ton album Soucoupes était ton 1er album réalisé entièrement au numérique. Quid de ce Star Fixion ? Et quelles évolutions récentes pour toi sur ce medium ?

O : Star FiXion est également réalisé entièrement en numérique. Je suis régulièrement tenté de revenir au papier, mais l’outil numérique permet une souplesse très appréciable. Quand je travaillais sur papier, cela impliquait des étapes répétitives qui souvent m’ennuyaient et me faisaient perdre l’énergie du moment : brouillon, puis storyboard, puis crayonné, puis encrage, ça pouvait donner l’impression de refaire quatre fois la même planche, chaque fois avec un peu moins d’entrain. Ma méthode de travail actuelle, étroitement liée à l’outil, me permet d’avoir une avancée plus évolutive, certains dessins de mise en place deviennent directement les images finales, un encrage qui ne me satisfait pas devient un calque de brouillon, une nouvelle idée de cadrage en cours de route et hop, il suffit de transformer l’image, etc.

BDE : Comment as-tu travaillé pour singulariser chacun de tes personnages par leur aspect, que je trouve ici une fois encore bien réussi ?

O : Impro totale 🙂

BDE : Par exemple pour Steven Spielberg, comment as-tu créé visuellement le personnage, et son comportement physique ? Et rendre visuellement compte de studios ciné où sont tournés Star FiXion, comment as-tu procédé ?

O : Pour chaque personnage existant, je me suis beaucoup imprégné de vidéos ou de photos de l’époque, j’ai conservé certains détails, essentiellement dans les allures générales, les vêtements, et puis j’en ai ignoré d’autres. L’important étant que le personnage ait son énergie propre.

Pour Spielberg, je me suis surtout inspiré de l’allure qu’il avait dans une vidéo où on le voit commenter les nominations des oscars l’année de la sortie des Dents de la mer, pour Harrison Ford, c’est essentiellement un mix entre les vidéos des essais au casting de Star Wars et le personnage de Han Solo. Pour Marcia et George, des photos où on les voit ensemble dans une salle de montage.

C’est George [Lucas] qui m’a demandé le plus de recherches. Je me suis beaucoup inspiré de son allure générale, j’adore les photos où il montre les poses à prendre aux acteurs sur le tournage notamment. Rapidement je me suis éloigné de ses traits de visage et de détails comme ses oreilles en pointe décollées, au profit d’un aspect plus sobre et plus expressif.
Rencontre avec Obion, auteur de Star FiXion (Fluide Glacial)

BDE : Peux-tu nous dire en quelques mots des comparaisons qui te viennent en quelques mots les différences relations que tu as avec tes scénaristes ? Que ce soit Kris, Lewis Trondheim, Arnaud Le Gouefflec, Jorge Bernstein ?

O : Holala, c’est compliqué comme question. Avec chacun on a partagé de super moments, et pris beaucoup de plaisir à faire ces albums, que ça soit dans l’application des premiers albums avec Kris, dans le mélange de nos univers fantaisistes avec Arnaud ou sur des registres plus humoristiques avec Lewis ou Jorge. Après, chaque duo impliquait des méthodes de travail différentes, une construction commune du scénario ou quelque chose de très cloisonné selon les projets. J’ai l’impression de parler de mes ex, c’est flippant.

BDE : Comment avez-vous organisé la définition des personnages ? Comment à ton sens cela joue pour parvenir à une narration fluide ?

O : La plupart du temps, les personnages se sont définis d’eux-mêmes. Nous avions quelques traits de caractère ou physiques en tête, et puis, au fil des histoires, certaines particularités ressortaient sans qu’on ne l’ait vraiment anticipé, et devenaient des évidences, comme par exemple la mauvaise conscience de Dany ou le militantisme féministe de Marcia, la femme de George, dont il n’était pas vraiment question au départ.

Je ne sais pas trop quel lien de cause à effet il peut y avoir entre la construction des personnages et une impression de fluidité de la narration… ça vient peut-être du fait qu’on a essayé de construire des personnalités complémentaires et de tisser des rapports assez différents entre chaque personnage ?

BDE : L’album fonctionne très bien dans son humour, via des jeux de mots, des effets de répétition…. Comment les as-tu composés de façon générale ? Y a-t-il dans le lot un ou plusieurs strips dont tu es content sur lesquels tu t’es donné beaucoup de mal pour les affiner ?

O : J’aime particulièrement les strips un peu touchants qui ne sont pas des gags à proprement parler, car je trouve qu’ils apportent une dimension intéressante à l’album. Je ne me souviens pas avoir rencontré de difficulté sur aucun strip, la plupart coulaient de source. Le plus souvent les affinages concernait la trame générale du récit car nous avons écrit beaucoup de gags avant de commencer à mettre un peu d’ordre dans l’histoire. Il fallait parfois changer quelques dialogues pour rendre le tout plus cohérent.

Rencontre avec Obion, auteur de Star FiXion (Fluide Glacial)

BDE : Il y avait une inquiétude de tomber dans le scabreux ? Comment tu as procédé pour ne pas tomber dedans ?

O : Les blagues de cul bien lourdingues, c’est pas vraiment ma tasse de thé, ce n’est pas mon type d’humour, et même si le sujet de la pornographie pouvait s’y prêter, on voulait faire tout autre chose.

Le vrai sujet c’est surtout la rencontre entre un auteur rêveur et un peu naïf et un producteur un peu filou qui ne voit pas d’autre solution pour se sortir d’une situation financière catastrophique que de dénaturer l’œuvre du premier dans son dos. On voulait s’amuser du quiproquo tout en approfondissant l’humanité des personnages. Le cinéma porno, dans tout ça, c’est simplement une toile de fond, un prétexte…

Mais le mauvais goût est une question de sensibilité, il n’est pas impossible que certains lecteurs plus prudes que nous ne placent pas leur curseur de mauvais goût au même endroit et qu’ils aient l’impression qu’on ait dépassé les bornes à chaque gag.

BDE : Comment se porte ta série avec Lewis ? Et Star Fixion et Danny auront-ils une suite, déjà un peu projetée dans ta tête voire déjà avec ton coscénariste ?

O : Nous avons presque réalisé la première moitié du tome 2 de Mamma Mia avec Lewis Trondheim, il sortira très probablement en 2021, Quant à une suite de Star Fixion, ce n’est pas exclu. J’ai déjà écrit des tas de pistes de scénarios possibles que j’ai commencé à soumettre à Jorge Bernstein. Le premier nous a demandé une gestation de sept ans, donc on va laisser infuser et déjà voir si celui-ci intéresse les lecteurs.

D’ici là, j’ai d’autres projets sur le feu :le premier tome d’une nouvelle série avec Nob, Pascal Jousselin et Lewis Trondheim toujours, qui s’appellera Chihuahua et devrait sortir aussi en 2021, un nouvel album de Donjon, « Pourfendeurs de démons », avec Joann Sfar et Lewis Trondheim encore qui devrait sortir aussi en 2021, et enfin une série en préparation avec un certain Lewis Trondheim, qui s’appellera Happy Apocalypse.

Lien vers le site des Editions Fluide Glacial : https://www.fluideglacial.com/

Chronique chez Bdencre de Star FiXion

Interview réalisée par Damian Leverd le 18 décembre 2019
© Toutes les images sont la propriété de leurs auteurs et ne peuvent être utilisées sans leurs accords.