Editeur : Michel LafonNombre de pages : 284
Résumé : Quand j’ai eu deux ans, tous mes souvenirs avaient des mots, et tous mes mots avaient une signification.Mais seulement dans ma tête.Je n’ai jamais prononcé un seul mot. J’ai bientôt onze ans.
- Un petit extrait -
« Tout le monde utilise des mots pour s'exprimer. Sauf moi. Et je parie que la plupart des gens n'ont pas conscience de leur véritable pouvoir. Moi si.Les pensées ont besoin de mots, et les mots, d'une voix.J'adore l'odeur des cheveux de ma mère juste après qu'elle les a lavés.Et j'adore le contact rugueux du menton de mon père juste avant qu'il se rase.Mais je n'ai jamais pu leur dire. »
- Mon avis sur le livre -
Comme cela m’arrive bien souvent, c’est en attendant mes parents au rayon livres d’un supermarché que j’ai croisé ce petit roman, au titre incroyablement poétique, et au résumé admirablement prometteur. Ni une ni deux, je me suis glissée dans l’un des petits poufs de l’espace lecture – ce supermarché était vraiment parfait pour les enfants et grands enfants qui patientent là ! – pour lire quelques chapitres, histoire de savoir s’il valait la peine ou non. Autant vous dire qu’il a immédiatement fini dans le caddie : en quelques pages, j’avais ma réponse. Malgré tout, il a attendu plusieurs années dans ma PAL. Non pas qu’il ne me faisait plus envie, bien au contraire, mais son achat a coïncidé avec le début des services presse pour le blog, et jusqu’à aujourd’hui, je n’avais jamais réussi à être suffisamment « à jour » pour pouvoir piocher dans mes étagères sans craindre de prendre du retard … Autant vous dire que je l’ai tout simplement dévoré, à la fois parce que j’étais ravie de le découvrir enfin « pour de bon » et parce qu’il était vraiment captivant !
Si vous croisiez Mélodie dans la rue, il y a fort à parier que la première chose que vous remarqueriez chez elle, ce n’est ni son adorable labrador, ni même son espiègle petite sœur, et encore moins son magnifique sourire. Non, ce qui saute aux yeux, c’est invariablement son fauteuil roulant. Mélodie a onze ans et souffre d’une paralysie cérébrale : elle ne peut ni s’habiller ni manger toute seule, ne peut pas tenir un crayon ni même tenir la main de sa petite sœur. Et surtout, elle ne peut pas parler : les seuls sons qu’elle parvient à produire ne sont que des « beuh » et des « bah » bien baveux. C’est pourquoi aux yeux du monde entier – excepté ses parents et sa voisine – Mélodie est « attardée ». Mais la vérité est tout autre : dotée d’une fantastique mémoire, la jeune fille a des mots pleins la tête et souffre quotidiennement d’être prise pour une imbécile finie. Si seulement elle pouvait communiquer !
Cette histoire, c’est Mélodie elle-même qui nous la raconte, avec simplicité et sincérité. Elle nous explique en premier lieu sa maladie, son handicap, et ses répercussions sur son quotidien et celui de sa famille : Mélodie ne peut rien faire seule, ni manger, ni s’habiller, ni se laver, ni aller aux toilettes. Elle est entièrement dépendante de son entourage. Et le plus terrible à ses yeux, c’est de ne pas pouvoir remercier ses parents, de ne pas pouvoir leur dire qu’elle les aime. Car on comprend bien vite que la jeune Mélodie est un esprit sensible et brillant enfermé dans son corps : pour s’exprimer, elle n’a que les quelques mots épinglés sur la tablette de son fauteuil roulant, qu’elle désigne du pouce. Le strict minimum pour communiquer : « bonjour », « merci », « j’ai besoin d’aller aux toilettes s’il vous plait », « oui », « non ». Si peu de mots, comparés aux milliers qui tournent dans sa tête ! Bien sûr, elle peut toujours épeler un mot en utilisant les lettres qui sont imprimées dans un coin, mais c’est long et épuisant …. Au fil des années, la tristesse de Mélodie s’est transformée en frustration, en colère qu’elle ne peut même pas exprimer autrement que par des crises de nerf explosives, ce qui ravive encore plus ce ras-le-bol.
Et cela d’autant plus que le regard que les autres – médecins, instituteurs spécialisés, parfaits inconnus – portent sur elle est chargé de pitié et de répulsion. « Scolarisée » dans une « section d’apprentissage » pour « élèves en difficulté », Mélodie est condamnée à revivre année après année la même torture : « Voici un A, combien d’entre vous reconnaissent la lettre A ? Bravo ! ». Et les classes d’inclusion, qui lui donnaient pourtant tellement envie – enfin elle allait pouvoir apprendre la même chose que les autres enfants de son âge ! –, se transforment rapidement en véritable calvaire : les élèves « normaux » sont d’une cruauté sans nom à l’encontre des « attardés » de la classe H-5. Mélodie donnerait n’importe quoi pour pouvoir leur montrer qu’elle n’est ni sourde ni idiote ! Un ordinateur adapté va alors bouleverser sa vie : la voici désormais capable de communiquer, de s’exprimer ! Mélodie est sur un petit nuage, et nous aussi : après l’avoir suivi dans ce morne combat quotidien, quelle joie de la voir enfin s’épanouir, de la voir assouvir sa soif de connaissances et d’échanges ! J’ai été émue aux larmes lorsqu’elle a pu, enfin, faire savoir à ses parents l’amour qu’elle leur portait ! Et tout comme sa voisine, Mme V, sa nounou attitrée depuis toujours, on a envie de lui dire : « montre-leur tout ce que tu sais, maintenant ! ».
Et c’est ce que Mélodie va faire. Contre toutes attentes, elle va être qualifiée pour représenter son école à un quizz interscolaire. Si on est immensément heureux pour elle, on est aussi immensément en colère contre ses « camarades » qui hurlent aussitôt à l’injustice, à la triche, hurlant haut et fort qu’une « fille comme elle » ne peut pas avoir de meilleurs résultats qu’eux (et surtout, qu’elle ne peut pas passer à la télé à leur place). Pire encore : on a envie de gifler cet imbécile de professeur, qui croit à un coup de chance et clame que « si Mélodie Brooks a pu remporter cette manche, c’est que les questions ne devaient pas être bien compliquées » ! Et pourtant, il est bien obligé de se rendre à l’évidence au fil des semaines : Mélodie pourrait bien être le plus grand atout de l’équipe … si seulement on voulait bien d’elle. Car elle se rend bien compte que ses « collègues » ne « l’acceptent » que parce qu’ils y sont obligés, et elle voit bien également que les suppléants la haïssent plus qu’ils ne la soutiennent. Les choses ne s’arrangent pas quand les journalistes ne parlent que d’elle, louant son « génie malgré son infirmité » et sa détermination : à partir de ce moment-là, c’est le début de la fin. Malheureusement, la trahison finale était prévisible quand on connait la cruauté de notre monde soit disant « civilisé » et « tolérant » … mais malgré tout, j’ai eu envie de pleurer et de hurler. Parce que c’est injuste, parce que c’est criant de réalisme.
Ne fuyez pas : ce roman est tout sauf déprimant ! Bien au contraire. A travers les mots de Mélodie, à travers cette tranche de vie où les petits bonheurs côtoient les grandes douleurs, l’autrice nous offre une véritable bouffée d’air frais. Mélodie est pétillante et adorable, elle a un cœur gros comme le monde malgré ses souffrances, elle est pleine d’amour et de bienveillance. Elle ne demande rien de bien sorcier : elle voudrait juste que les gens comprennent qu’elle ne se résume pas à ce corps « bousillé », qu’ils saisissent qu’elle est une personne à part entière. Parce que Mélodie, malgré tout ce qu’elle a vécu jusqu’ici de désillusions et d’échecs, est une jeune fille profondément optimiste et courageuse. Non pas ce courage « stéréotypé » qu’on prête parfois aux personnes handicapées, comme pour se donner bonne conscience en leur reconnaissant une détermination à toute épreuve. Non, un courage tout ce qu’il y a de plus banal, le courage « de monsieur et madame tout le monde ». Ce courage, elle le tient de ses parents, qui n’ont jamais baissé les bras, et de Mme V, qui ne l’a jamais laissé baissé les bras. Aux yeux de ses parents, de sa petite sœur et de sa voisine, Mélodie est une petite fille, point. Et aux yeux du lecteur également. Une petite fille incomprise, une petite fille têtue, une petite fille colérique aussi. Mais surtout, une petite fille incroyablement attachante : je l’aime beaucoup Mélodie, elle a su se faire une petite place dans mon cœur, et ce fut dur de lui dire au revoir …
En bref, vous l’aurez bien compris, ce fut un véritable coup de cœur ! J’ai tout simplement adoré faire la connaissance de Mélodie, enfermée dans son corps comme dans une prison, enfermée avec tous ces mots qui ne passeront jamais la barrière de ses lèvres. Certains passages sont atrocement déchirants, on a terriblement mal au cœur pour elle, si innocente et gentille, tandis qu’elle découvre l’hypocrisie et la cruauté des gens « normaux » auxquels elle souhaitait tant ressembler et avec qui elle désirant tant échanger. D’autres passages sont tout simplement bouleversants : comment ne pas verser une larme au moment où Mélodie, par l’intermédiaire de son nouvel outil de communication, dit à ses parents « Je vous aime » pour la toute première fois ? C’est un récit admirable, magistral, un roman dont on ne sort pas tout à fait indemne, un roman qui vous prend aux tripes et qui vous secoue comme un prunier, un roman qui vous fait passer du rire aux larmes, et des larmes aux rires. C’est un roman que je conseille, sans restriction, sans condition : lisez. Vous verrez, aussi étonnant que cela puisse paraitre, c’est un roman qui fait un bien fou !