Je suis le travail de Lawrence Anthony depuis son premier livre, l’incroyable sauvetage du zoo de Bagdad. Cet écologiste convaincu a fait de son domaine sud-africain, Thula Thula, une réserve pour animaux sauvages où les éléphants ont la place d’honneur (souvenez-vous de ces éléphants traumatisés qui ont bien failli être abattus par l’Administration). Après le décès tragique de Lawrence en 2012, son épouse française a repris les rennes de la réserve sans grande expérience dans la gestion de la faune (elle s’occupait de la partie gîtes et tourisme) mais avec l’aide des membres du staff déterminés à poursuivre l’oeuvre de Lawrence Anthony. Ce récit aurait pu se borner à cet aspect de la gestion d’une réserve, ce qui représente déjà une lourde tâche. Surveiller la réserve, veiller au bien-être de la faune sauvage, accueillir les touristes, trouver des fonds… mais cela aurait été un soupçon ennuyeux. Et pour reprendre les préoccupations de son époux décédé, notre exilée volontaire choisit de mettre en lumière le plus grand péril qui touche les réserves sud-africaines (et des pays voisins d’ailleurs) : le braconnage.
Françoise Anthony se met en tête de dédier une partie de la réserve à une structure d’accueil des bébés orphelins dont les parents, qu’ils soient éléphants, rhinos ou même hippopotames, ont été tués pour leur ivoire. Nous connaissons tous l’existence du braconnage en Afrique, cela a été largement médiatisé dans les articles des journaux, par les ONG et même à la télévision. Nous connaissons les faits bruts et les données chiffrées, et même les images sanglantes de ces corps des grand mammifères mutilés pour leurs dents, cornes ou défenses. Mais cet ouvrage nous place à la hauteur de ces jeunes animaux terrifiés et traumatisés dont la mère ou le troupeau au grand complet a été massacré. Et cela change tout.
J’avoue avoir serré les dents plus d’une fois à la lecture de poignant témoignage. Hommes, femmes, chiens (et oui ! ), jeunes bénévoles ou femmes des tribus locales, jouent les nounous et se relaient au chevet de ces bébés traumatisés qui font des cauchemars, refusent de manger, jouer ou courir, et pour qui tout bipède constitue une menace réelle. C’est à la fois terriblement émouvant et effroyablement tragique de découvrir qu’il faut dormir à côté d’un éléphanteau la nuit pour qu’il cesse de « pleurer » dans son sommeil, de remonter le moral d’un rhino pour qu’il accepte de lutter contre une infection qui menace sa vie. Chaque animal a vécu un drame, et le personnel de la réserve tente d’en en effacer les traces pour permettre à l’animal de retrouver à terme une vie « normale » dans la nature, pour les plus chanceux en tout cas. Car parfois, il arrive aussi que malgré les soins et la volonté des bénévoles, le bébé traumatisé finit par mourir.
Tout aussi effrayant est le constat fait par Françoise Anthony : malgré les clôtures et les gardes armés (trop peu nombreux), les braconniers s’introduisent régulièrement dans les réserves (trop vastes pour être surveillées efficacement) et tuent impitoyablement toute bête susceptible de rapporter un peu d’argent. Lourdement armés et utilisant des drones, les braconniers n’hésitent plus à agresser les personnels des réserves et les articles de journaux relatent hélas trop souvent les cas de d’éco-gardes assassinés pour avoir défendu un animal.
Tout ceci n’est pas bien gai, je sais, mais comme beaucoup d’écologistes et d’amis des animaux, Françoise Anthony garde espoir et continue d’apporter des améliorations à son centre : création d’une infirmerie, installation de différents enclos d’adaptation, etc. Je crois sincèrement que ce sont des gens comme elle qui retardent l’échéance de l’extinction de nos grands mammifères.
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