Bon, pour être honnête, j'ai lu ce livre encore tout récemment mais j'ai volontairement éternisé la lecture parce que je ne voulais pas quitter les personnages, ni l'histoire, ni la plume de l'autrice, ni son univers.
Je crois que je l'ai déjà dit, mais j'en suis maintenant convaincue : Auður Ava Ólafsdóttir a définitivement conquis mon cœur de lectrice, c'est-à-dire qu'elle peut écrire n'importe quoi, je serai toujours ravie de la retrouver, d'admirer son écriture, sa façon de narrer les événements avec une très grande intelligence du jeu, de manipuler ses créatures, de leur faire prendre des chemins détournés, de raconter leur quête de bonheur absolu.
J'aime à la fois la simplicité et l'humilité d'Auður Ava Ólafsdóttir, son côté fantasque et sa voix (et voie) littéraire, j'aime ce qu'elle dégage à chacun de ses romans (et pourtant je n'ai lu aucune interview d'elle, je n'en éprouve pas le manque ni le besoin, peut-être à tort). Je suis définitivement accrochée à son œuvre et je suis heureuse qu'à chaque fois, elle me surprenne.
Auður Ava Ólafsdóttir a reçu récemment le prix Médicis du roman Etranger 2019 pour ce très beau roman Miss Islande, elle a obtenu le Nordic Council Literature Prize, prix des cinq pays nordiques pour honorer son formidable Ör. Je considère qu'elle a toutes les qualités pour devenir une future prétendante sérieuse du prix Nobel de Littérature et elle le mériterait amplement. Si je devais résumer Miss Islande en peu de mots, je reprendrai les paroles d'Isey, la meilleure amie de l'héroïne Hekla : c'est l'histoire d'une femme qui aime un homme et qui couche avec un autre.
Mais Miss Islande est bien plus que cela : ce roman mesure en quoi le contexte social et politique d'époque influe sur les comportements, sur une liberté contrainte, où une fuite peut s'avérer une survie.
Nous sommes dans les années 60, en Islande donc, période où les femmes sont cantonnées soit à des rôles domestiques, soit des participations stériles de concours de beauté, où le non-respect de la trajectoire dite normalisée (mariage-boulot-bébé) est considéré comme une déviance ou est farouchement réprimé ou rejeté (homosexualité, concubinage, sexualité libre et sans contraintes).
Miss Islande met en lumière un trio d'amis, tous artistes, dont le talent est soit déjà révélé soit en passe de le devenir : Hekla dont la beauté rend invisible le talent littéraire aux yeux des autres, Isey dont les maternités successives et la conjugalité noircissent les pages de son journal intime, John Jon dont l'art des ciseaux se confronte aux contraintes matérielles (et maritimes). Entre eux, une pelletée de personnages dont l'éclairage momentané sert l'intrigue et illustre l'époque : la voisine d'Isey en mère nourricière qui peu à peu se perd, le poète Starkadur dont les rimes ne trouvent aucun écho, le personnel du bar Borg, le père d'Ekla qui retient sa vie à chaque irruption volcanique, l'élément eau qui conditionne et rythme le quotidien de John Jon et rappelle que l'Islande est un pays de pêcheurs.
Dans Miss Islande, on retrouve l'atmosphère cotonneuse de Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guénassia, l'exigeante retranscription de l'atmosphère de l'époque à la Patrick Modiano, la dissection minutieuse du fait sociologique à la Annie Ernaux (mais avec un côté plus romancé), une harmonie des rythmes et des synergies, une infinie bienveillance entre les principaux protagonistes (sans le côté bisounours ou nunuche, c'est selon). On redécouvre aussi avec douleur l'usage du nom masculin pour avoir une chance de publication ou de reconnaissance publique..
Bref, Miss Islande est un roman multiple, complexe, totalement accessible, riche, profond, touchant, qui raconte le début de l'émancipation féminine et les nombreux quolibets que les pionnières ont supportés. Dans ce roman-ci, contrairement aux précédents, il y a une insaisissable forme de gravité, liée à l'âge des héros, à l'aube de changements ou de prises de décision importantes de leur existence. Il y a aussi une mélancolie, celle de l'abandon. Un roman génial comme l’œuvre de cette inestimable romancière qu'est Auður Ava Ólafsdóttir. Un grand moment de bonheur et un énorme merci à cette écrivaine de toujours atteindre mon petit cœur directement, sans détour !
Éditions Zulma Très bonne traduction d'Éric Boury.
De la même auteure Rosa candida
L'embellie L'exception
Le rouge vif de la rhubarde Ör
Je crois que je l'ai déjà dit, mais j'en suis maintenant convaincue : Auður Ava Ólafsdóttir a définitivement conquis mon cœur de lectrice, c'est-à-dire qu'elle peut écrire n'importe quoi, je serai toujours ravie de la retrouver, d'admirer son écriture, sa façon de narrer les événements avec une très grande intelligence du jeu, de manipuler ses créatures, de leur faire prendre des chemins détournés, de raconter leur quête de bonheur absolu.
J'aime à la fois la simplicité et l'humilité d'Auður Ava Ólafsdóttir, son côté fantasque et sa voix (et voie) littéraire, j'aime ce qu'elle dégage à chacun de ses romans (et pourtant je n'ai lu aucune interview d'elle, je n'en éprouve pas le manque ni le besoin, peut-être à tort). Je suis définitivement accrochée à son œuvre et je suis heureuse qu'à chaque fois, elle me surprenne.
Auður Ava Ólafsdóttir a reçu récemment le prix Médicis du roman Etranger 2019 pour ce très beau roman Miss Islande, elle a obtenu le Nordic Council Literature Prize, prix des cinq pays nordiques pour honorer son formidable Ör. Je considère qu'elle a toutes les qualités pour devenir une future prétendante sérieuse du prix Nobel de Littérature et elle le mériterait amplement. Si je devais résumer Miss Islande en peu de mots, je reprendrai les paroles d'Isey, la meilleure amie de l'héroïne Hekla : c'est l'histoire d'une femme qui aime un homme et qui couche avec un autre.
Mais Miss Islande est bien plus que cela : ce roman mesure en quoi le contexte social et politique d'époque influe sur les comportements, sur une liberté contrainte, où une fuite peut s'avérer une survie.
Nous sommes dans les années 60, en Islande donc, période où les femmes sont cantonnées soit à des rôles domestiques, soit des participations stériles de concours de beauté, où le non-respect de la trajectoire dite normalisée (mariage-boulot-bébé) est considéré comme une déviance ou est farouchement réprimé ou rejeté (homosexualité, concubinage, sexualité libre et sans contraintes).
Miss Islande met en lumière un trio d'amis, tous artistes, dont le talent est soit déjà révélé soit en passe de le devenir : Hekla dont la beauté rend invisible le talent littéraire aux yeux des autres, Isey dont les maternités successives et la conjugalité noircissent les pages de son journal intime, John Jon dont l'art des ciseaux se confronte aux contraintes matérielles (et maritimes). Entre eux, une pelletée de personnages dont l'éclairage momentané sert l'intrigue et illustre l'époque : la voisine d'Isey en mère nourricière qui peu à peu se perd, le poète Starkadur dont les rimes ne trouvent aucun écho, le personnel du bar Borg, le père d'Ekla qui retient sa vie à chaque irruption volcanique, l'élément eau qui conditionne et rythme le quotidien de John Jon et rappelle que l'Islande est un pays de pêcheurs.
Dans Miss Islande, on retrouve l'atmosphère cotonneuse de Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guénassia, l'exigeante retranscription de l'atmosphère de l'époque à la Patrick Modiano, la dissection minutieuse du fait sociologique à la Annie Ernaux (mais avec un côté plus romancé), une harmonie des rythmes et des synergies, une infinie bienveillance entre les principaux protagonistes (sans le côté bisounours ou nunuche, c'est selon). On redécouvre aussi avec douleur l'usage du nom masculin pour avoir une chance de publication ou de reconnaissance publique..
Bref, Miss Islande est un roman multiple, complexe, totalement accessible, riche, profond, touchant, qui raconte le début de l'émancipation féminine et les nombreux quolibets que les pionnières ont supportés. Dans ce roman-ci, contrairement aux précédents, il y a une insaisissable forme de gravité, liée à l'âge des héros, à l'aube de changements ou de prises de décision importantes de leur existence. Il y a aussi une mélancolie, celle de l'abandon. Un roman génial comme l’œuvre de cette inestimable romancière qu'est Auður Ava Ólafsdóttir. Un grand moment de bonheur et un énorme merci à cette écrivaine de toujours atteindre mon petit cœur directement, sans détour !
Éditions Zulma Très bonne traduction d'Éric Boury.
De la même auteure Rosa candida
L'embellie L'exception
Le rouge vif de la rhubarde Ör