Cora dans la spirale · Vincent Message

Par Marie-Claude Rioux

Rien ne me disposait à m’arrêter du côté de ce roman français. Un roman ancré dans le milieu du travail, celui des assurances, qui plus est. Une triste histoire de femme qui dégringole. Rien pour m’intéresser. Ce sont les mots de Krol qui ont titillé ma curiosité. Je sentais qu’il y avait là quelque chose pour moi.Je te le dis: je ne m’en suis pas encore remise. Cora, c’est toi. C’est moi. C’est ma voisine essoufflée. Ma sœur éreintée. Mon ami sur le bord du précipice. Je réfléchis pas mal, ces temps-ci, à notre vie effrénée, passée à courir après le vent, souvent pris à la gorge. Ce roman arrivait à point.

Cora retourne au travail, toute guillerette, après son congé de maternité. Une restructuration dans l’entreprise rebrasse les cartes. Faites la même chose plus vite, avec moins de moyens mais en mieux. C’est le refrain que beaucoup de gens entendaient, dans beaucoup de mondes professionnels, et qui finissait par détruire ou en tout cas par abîmer leur attachement à leur travail.C’est le début de la spirale. L’adaptation au travail en open space, la performance, la pression, l’estime de soi vacillante, l’épuisement, la culpabilité… Pourquoi ne pas tout simplement claquer la porte? Parce qu’il y a les comptes à payer et une hypothèque sur le dos. Comme si ce n’était pas assez, une goutte d’eau fera déborder le vase et un tsunami passera sur la vie de Cora.Cora dans la spirale: un titre simple et parfait. Car c’est bien d’une spirale dont il s’agit. D’une pente descendante. Le début du roman plonge dans le quotidien le plus ordinaire. Pour toi que ça peut lasser, il faut t’accrocher un peu avant que ça parte en grand. Et, il y a, d’entrée de jeu, ces questions taraudantes, de celles qui empoignent son lecteur: qui est Mathias, celui qui raconte? Qu’est-ce qui a bien pu se passer de si terrible, le vendredi 8 juin?Les intrigues secondaires auraient pu être de trop, mais non. Bon, il y en a une que j’ai trouvé beurrée épais (une histoire d’amour entre femmes), mais une autre m’a particulièrement touchée (une rencontre avec un Malien sans-papiers), alors c’est quitte.Ce roman pourrait en déprimer plus d’un. Pour moi, il a eu l’effet inverse: celui d’un coup de fouet. Comme une sorte de mise en garde. Ce roman aux bords tranchants, aussi honnête que marquant, est l’un de mes coups de cœur de l’an dernier. Un roman bouleversant sur les bonne fourmis-travailleuses qui se mettent à boiter. Rarement l’expression «métro, boulot, dodo» aura eu un goût aussi âpre.Désormais ce qu’elle arrache à la grisaille des jours, à condition d’être bien organisée, constamment efficace, c’est un dîner sympa chez des amis, ou une week-end à la campagne vraiment très agréable, d’autant qu’il faut dire qu’on a eu une sacrée chance avec le temps. Elle pourrait redécouvrir l’intensité en compagnie de Manon, c’est pour cela entre autres qu’on fait des enfants, et il y en a, c’est indéniable, quand Manon marche vers elle au parc, et que Cora recule de quelques mètres, et que Manon crie maman, maman, et rit de plus en plus, s’étouffe dans la force de son rire et se jette dans ses bras. Mais cela ne lui suffit pas : elle voudrait éprouver les choses à la première personne, pas les vivre par procuration. Être bouleversée par un morceau de musique entendu un soir de concert, par le visage d’un inconnu, par une première fois. Est-ce que c’est d’abord l’habitude qui use, émousse, ternit, ou est-ce que ce sont plutôt la fatigue et le stress? Si elle menait une vie plus douce, est-ce qu’elle ressentirait de nouveau les événements de joie, ou est-ce que ce pouvoir est en train de la quitter à mesure que ça jeunesse s’éloigne?Pas encore convaincu? Va lire le billet de Krol.

Cora dans la spirale, Vincent Message, Seuil, 457 pages, 2019.

★★★★