Et encore : l'acte même d'acheter des comics est important; elle est terminée l'époque où les gamins pouvaient aller chez le marchand de journaux et trouver des revues comme Strange (on a fêté hier le 50 ème anniversaire du premier Strange, au fait), en dépensant quelque francs. Aujourd'hui l'offre s'est réduite, même si nous avons en librairie des albums absolument somptueux, dont on aurait à peine pu rêver autrefois. Alors il faut admettre que le lecteur dont les ressources sont les plus modestes a bien du mal à suivre ses séries préférées, sans faire de gros sacrifices (le softcover Panini s'approche vite des dix euros), d'autant plus qu'en 2020 la concurrence est rude entre les dépenses liées au jeux vidéos, les figurines, et d'autres passions satellites qui finissent par phagocyter le domaine artistique de base auquel elles se rattachent. Après tout, s'il y avait autant de lecteurs des Avengers que de personnes qui sont allés voir les films au cinéma, les comics seraient dévorés par un lectorat bien plus important que ce qu'il n'est vraiment.
Quand nous disons que les comics c'était mieux autrefois, est-ce qu'en fait nous ne voulons pas dire que nous préférions la société d'autrefois, celle en apparence plus rassurante? Nous avions l'impression que les lendemains seraient plus positifs, que la situation était moins complexe à appréhender, que l'espoir était plus simple à cultiver... cela est probable. Je prends toujours autant de plaisir à lire des comics, à en acheter, à en consommer presque compulsivement parfois, je suis étonné et transporté de joie à l'idée de tout ce que nous offre aujourd'hui le marché des comics indépendants, la grande variété des histoires et des styles, la manière dont elles sont publiées. Pour autant, j'ai moi aussi ce pincement au cœur en évoquant ce qui fut autrefois. Le vrai combat est de faire en sorte que les comics restent un média populaire accessible à tous, et qu'il ne soit pas défiguré par toutes les activités et passions dérivées qu'il a vu naître ces dernières années. C'est donc à nous aussi anciens lecteurs et acteurs du marché des comics d'entretenir la flamme, tout en évitant qu'elle ne brûle le terreau fertile sur lequel elle s'épanouit. Les comics, c'est de l'art, du rêve, des songes et des idéaux en images, c'est une partie de nous et ce que nous sommes, et l'image que nous en avons en dit long aussi sur là où nous en sommes, et là où nous allons.
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