Spawn: Blood Feud

Par Noisybear @TheMightyBlogFR

Ce mois-ci, Forgotten Comics, notre chronique consacrée aux comics "oubliés", s'intéresse à une mini-série sur Spawn écrite par Alan Moore marquant les débuts du dessinateur Tony Daniel sur le personnage, Spawn: Blood Feud.

Spawn: Blood Feud est une mini-série en 4 parties sortie aux États-Unis en 2015 chez Image Comics. Elle s'intéresse aux origines du costume du personnage créé par Todd McFarlane en 1992. Elle était publiée en parallèle de la série régulière Spawn écrite par son créateur et dessinée par Greg Capullo.

Ce n'est pas la première fois que Alan Moore écrit une aventure de Spawn. En effet, Todd McFarlane l'avait invité ainsi que trois autres scénaristes - Neil Gaiman, Dave Sim et Frank Miller - à écrire chacun un épisode de la série régulière. Le scénariste de Watchmen s'était alors occupé du script du numéro 8 dans lequel il revisitait L'Enfer de Dante en nous montrant un pédocriminel violent, Billy Kincaid, descendant les sept cercles de l'Enfer après avoir été tué par Al Simmons, alias Spawn. En effet, le protagoniste principal de la série est un anti-héros renvoyé sur Terre après sa mort par le Diable en personne dans le but de tuer des criminels afin de nourrir l'armée démoniaque des Enfers. L'idée de l'épisode était intéressante puisque Moore nous dévoilait à la fois ce que Al Simmons a dû vivre après sa mort mais, aussi, nous montre le grand plan de Malebolgia, l'incarnation du Diable dans l'univers de Spawn.

Deux ans après, McFarlane fait donc appel à nouveau à Alan Moore mais, cette fois, il s'agit plus d'un travail de commande qu'un appel du pied. Il faut dire que depuis la fin des années 80, Moore connait pas mal de déboires avec ses publications. Les maintenant célèbres From Hell et Lost Girls [ Filles Perdues en V.F. - NdR] connaissent des productions chaotiques ce qui conduit le scénariste dans des difficultés financières. Invité par Simon Bisette pour participer à l'aventure Image Comics, Moore accepte voyant une opportunité de se venger de Marvel Comics et DC Comics avec qui il est en froid pour des questions créatives et de royalties mais aussi d'avoir des revenus lui permettant de continuer ses comics indépendants.

Si McFarlane est le premier à le solliciter, Jim Lee et son studio Wildstorm, puis Rob Liefeld et son Extreme Studios viendront à faire appel à lui pour écrire des titres comme Wild C.A.T.s. et Supreme. L'application de Moore se fera d'ailleurs plus sentir sur ces travaux que sur ceux commandés par le créateur de Spawn. Cela ne veut pas dire que Spawn: Blood Feud et la mini-série de 1997, Violator, ne sont pas intéressantes mais elles ne dénotent pas énormément de l'ambiance habituelle de la série régulière Spawn.

En revanche, ce qui est intéressant dans tout cela, c'est que McFarlane demande à Moore - comme il l'avait demandé à Neil Gaiman sur la mini-série Angela peu de temps avant - de nourrir le folklore de Spawn. Ainsi, après nous avoir fait une visite guidée des Enfers, Moore s'amuse avec le costume du personnage principal et sur la signification possible des têtes de mort, des chaînes et des piques qui ornent dessus.

L'histoire est relativement simple : Al Simmons commence à se méfier de son costume, ce qu'il pensait être des cauchemars semble être une torture que l'habit lui fait subir. Mais ces mauvais rêves tournent au hallucinations, Spawn se voit massacrer des gens innocents laissant vraiment des cadavres derrière lui. Sam et Twitch, les deux célèbres enquêteurs de la série, enquêtent sur ces morts violentes mais, très vite John Sansker, un spécialiste dans le domaine du surnaturel, vient à leur affirmer que c'est l'œuvre d'un vampire et que celui-ci n'est nul autre que Spawn.

Comme je l'écrivais plus haut, cette mini-série ne s'éloigne pas en terme de ton du titre principal sur Al Simmons : on retrouve même certains gimmicks comme l'omniprésence des médias bien que cela n'utilise pas la forme habituellement employée par McFarlane. Moore semble tenter de vouloir s'adapter au public de la série - ce qui est normal - avec quelque chose de sanguinolent, des moments malsains, et de l'action bien dosée. Du coup, on voit les choses arriver de très loin et, parfois, c'est brouillon pour faire avancer l'intrigue plus rapidement mais vu que les cases proposent leur lot de violence, cela devrait passer pour les fans.

Nous reconnaissons tout de même la patte de Moore à plusieurs instants comme le fait de commenter l'action par la voix-off de Spawn plutôt qu'un narrateur - cela était encore assez rare à l'époque, des moments intrigants comme la manière que s'exprime le costume de Al, mais surtout sur certains effets comme les deux massacres du premier numéro et lorsque Spawn coule dans l'eau. Ces moments très cinématographiques font aussi preuve de savoir faire très appréciable.

Ensuite, il y a des petits détails qui montrent le sens de l'humour de Moore comme l'apparition du Violator ou l'utilisation du nom Sansker - lire Sans Cœur avec un accent anglais - qui n'est autre qu'un monstre - et qu'on suppose être un vampire dès sa première apparition. Justement, la mythologie du vampire est maintes fois évoquée dans la mini-série, et là encore, Moore semble s'amuser. Si les meurtres n'ont pas l'air d'être ceux d'un vampire, le parallèle entre Spawn et la créature fantastique est plutôt bien amenée.

L'histoire est un peu bête par moment - mais, je l'expliquerais plus bas qu'il y a des raisons à ça. Le fait est que le fan de Spawn s'attend aussi à une œuvre destinée aux adultes avec pas mal de violence. Sur ce point, Tony Daniel fait vraiment du fan service. C'est le gore pour le gore avec des splashes de sang un peu partout quitte à rendre illisibles quelques cases. À l'époque, j'appréciais beaucoup le dessinateur mais le premier numéro de Blood Feud déçoit beaucoup. Daniel privilégie l'esthétique violente à la narration. Heureusement, le reste de la mini-série - exception faite de la dernière page - sera nettement mieux maîtrisée.

C'est très marqué par son époque aussi : les personnages sont stupidement bodybuildés. Même si dans l'univers de Spawn, il y a beaucoup de physiques différents, lorsqu'il s'agit de montrer du muscle, cela prend des proportions débiles. Aussi, Daniel tombe dans la facilité dans du gore à outrance - parfois jusqu'à être risible - et dans la caricature lorsqu'il fait un gros plan sur le décolleté sur le cadavre ensanglanté d'une jeune femme.

Il s'agit donc de la première fois que Tony Daniel dessine une aventure de Spawn. En effet, après cette mini-série il deviendra l'un des artistes réguliers de la série principale qui deviendra bimensuelle. Il alternera alors Greg Capullo qui officie depuis quelques temps sur le titre.

Les deux dessinateurs viennent de Marvel Comics où ils se font remarquer sur le même titre, . En effet, Greg Capullo est devenu une star chez la Maison des Idées en prenant la relève de Rob Liefeld aux dessins avec un gros coup de projecteur donné par le cross-over X-Cutioner's Song. C'est Tony Daniel qui a repris la relève en tant que dessinateur régulier - après le passage éclair de Matt Broome, artiste qui rejoindra également Image Comics dans la même période. Pour la petite anecdote, Todd McFarlane a aussi dessiné X-Force lors d'un cross-over entre sa série Spider-Man et le titre de Liefeld. En quelque sorte, la boucle est bouclée mais la tradition se perdra avec l'arrivée de Angel Medina en tant qu'artiste régulier sur Spawn ou parce que Adam Pollina ne dessinera jamais le titre, au choix.

Même si la BD, par sa tonalité et son aspect graphique, est bien marquée par son époque, elle s'avère avoir un aspect très contemporain, en tout cas qui a une résonance particulière en 2020 tout cela à cause du personnage de John Sansker qui est un pastiche de Donald Trump et cela est évident dès sa première apparition.

Et, au cas où que nous ayons un doute, Alan Moore le confirme dans le quatrième numéro de la mini-série.

Ce qui rend ce pastiche très d'actualité, c'est que Sansker est un homme médiatique avec une aura positive. Moore s'amuse même avec l'image que reflète le personnage auprès des autres lorsqu'il fait son show, Sam semble même dire qu'il a une érection rien qu'en le voyant. En plus de cela, il est un beau parleur qui monopolise l'attention lorsqu'il est invité dans les médias, il utilise d'ailleurs de ce que nous appelons maintenant "Fake News". Ainsi, il fait de la rhétorique afin que les gens s'alignent à sa chasse aux sorcières alors qu'il est absurde de penser que les crimes très sanglants soient les faits d'un vampire tellement le sang coule dans tous les sens.

Alan Moore critique ouvertement le milliardaire Donald Trump - qui représente un peu tout ce que le scénariste déteste - en l'appelant de mégalomaniaque, il le montre comme un personnage qui plait au public, qui séduit mais met en avant ses mensonges avant de montrer son vrai visage : celui d'un monstre hideux qui fait preuve d'une grande violence pour arriver à ses fins. Définitivement, Blood Feud est un comic book politique et, encore plus de nos jours.