De pierre et d'os - Bérengère Cournut *****

Par Philisine Cave
De pierre et d'os narre l'épopée d'une adolescente inuit séparée de sa famille le jour d'une fracture de banquise.
Je pense que je vais être économe en paroles sur ce roman-ci, comme si son univers imposait le silence, la contemplation et le respect.
La plume précise de Bérengère Cournut provoque facilement la visualisation : on a froid, on a faim, on est envahi de blanc.
 
J'ai tout aimé dans cette histoire : les parties poétiques invoquant les esprits, les descriptions de chasse, de construction d'igloos, les conditions de survie, les paysages, les relations humaines et sociétales, l'évolution de l'héroïne -son instinct de survie, sa mise en danger permanente, sa capacité à ne pas se perdre complètement, à faire confiance durablement (parfois aveuglément), à aimer, à se tromper, à construire et à se construire. 
Ce qui m'a particulièrement plu est l'approche intelligente et romancée de la culture inuit, où on apprend qu'une grand-mère est aussi la fille de sa fille, où un nouveau-né est prénommé lors du décès d'un autre et est affublé d'esprits animaliers, où justement ces esprits détournent la raison, où l'adoption est naturelle, où la vie est fragile, où la loi s'applique par des règlements de compte. 
Pourtant l'autrice ne nous épargne et n'épargne pas Uqsuralik mais tout événement, même le plus scabreux, se fonde dans la masse de l'intrigue, comme une étape de vie. Ce parti pris détonne, il n'y a aucune mièvrerie, aucune pesanteur sur les conditions de vie éprouvantes où la faim tiraille constamment les estomacs, où la valeur d'un être se mesure à sa capacité à nourrir sa famille, à partager aussi. D'ailleurs, dans cette culture primitive, pas d'école : le langage est uniquement oral et s'exprime aussi par le chant. 
L'écriture de Bérengère Cournut est belle et diverse, montre l'aisance de l'autrice dans le pur roman comme dans le chant prophétique, nourrie par l'immersion dans le muséum d'histoire naturelle à Paris et la rencontre avec des ethnologues. 
De pierre et d'os est un roman apaisant, racé, qui évade autant qu'il cultive et qu'on quitte très très très difficilement (j'ai prolongé volontairement la lecture ; c'est un signe qui ne trompe pas).
En toute fin de l'ouvrage, on a le droit à quelques photos émouvantes, belles, de grande classe à l'image de cet excellent roman qui a reçu un prix littéraire (prix du roman Fnac 2019) archi mérité.
Éditions Le Tripode
avis : ma Zaz, Hélène, Argali, Anne, Alex, Krol,