En 1976, Chantal Thomas vient de soutenir sa thèse et s’offre un voyage à New York, une vague adresse de colocation en poche, elle s’installe chez Cynthia une lesbienne, dans l’East Village, quartier à taille humaine. Fêtes, parties, se succèdent, soirées dans des bars féministes etc. Quarante ans plus tard, elle revient dans ce quartier le temps d’un été…
Le récit saute d’une époque à l’autre en allers et retours tourbillonnants menés de main de maître et par la grâce d’une écriture très élégante. A cette forme plus que séduisante, s’ajoute le parfum d’une époque qui m’est chère, riche en souvenirs et moments agréables, liés à la littérature, à la musique et à cette ville qui m’avait tant sidéré lors de mon premier voyage aux Etats-Unis, il y a trop longtemps… Pour résumer, cette balade aux côtés de Chantal Thomas est une confrontation de souvenirs pour elle (le quartier a beaucoup changé) et une merveilleuse réanimation des miens.
Un texte où seront évoqués des lieux : ce quartier si particulier de la ville, agréable mais non sans risques alors ; Alphabet City, « où les propriétaires préféraient mettre le feu à leurs bâtiments pour toucher la prime d’assurance » plutôt que de les entretenir » ; les bars et les lieux de rencontres ; les appartements étroits où s’improvisent des parties ; St. Mark’s Church et le Chelsea Hotel, ce « lieu mythique », « sous le signe de l’excentricité, où se croisaient des gens de fortunes et d’âges divers, où cohabitaient des résidents (certains incrustés depuis des années) et des clients passagers. »
Ce lieu qui nous renvoie à des gens célèbres (Patti Smith, Andy Warhol, Lou Reed…) ou plus particulièrement ici, aux écrivains de la Beat Generation, les Allen Ginsberg, William Burroughs et surtout Jack Kerouac. Tout le livre est sous-tendu par le souffle de ce courant culturel et les extraits de l’œuvre du Clochard céleste ponctuent le récit, insufflant à l’ouvrage une aération comme un grand vent de liberté.
Un livre charmant qui vous l’avez compris, m’a particulièrement touché par l’évocation de ces souvenirs – sans nostalgie – qui nous ont rappelé, à elle comme à moi, mais à des degrés divers, d’excellents moments. Or comme vous le savez, il n’y a guère de plaisir de lecture plus intense que de tomber sur un livre qui semble vous inclure dans son propos.
« L’appartement avait une vue sur Central Park. Un verre à la main, ivre de fatigue, j’ai découvert une immensité de verdure. Un morceau de nature que délimitait, à une extrémité, une rangée de tours, dont les créneaux disparates m’ont fait rêver le Moyen Âge. Des fenêtres allumées ou bien des étoiles, brillaient, tandis que tout en bas, au creux des bosquets et des vallons, s’agitaient, parmi leurs troupeaux de millepattes, un peuple de gnomes et d’elfes, de lutins malins, de fées évanescentes. J’ai levé mon verre à leur santé et à la mienne, à mon arrivée à New York, à ma chance d’avoir pour la nuit gîte et boisson à volonté. Et à leur endurance à eux. A cette vie imperceptible que quelques touffes d’herbe et un peu de feuillage suffisaient à camoufler et dont les services d’immigration les plus paranoïaques n’avaient pas même notion. »
Photos d’Allen S. Weiss