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La petite citadine de Tim cahotait à un rythme irrégulier sur la route de campagne. Le bric à brac qui envahissait l’habitacle tressautait inlassablement. Fenêtres grandes ouvertes, cigarettes aux bords des lèvres, Tim pestait contre les nids de poule. Cela faisait dix heures que le jeune homme roulait à tombeau ouvert. La chaleur étouffante le faisait suer abondamment et il avait bu pas moins de trois litres d’eau. Cette hydratation intensive l’avait d’ailleurs obligé à s’arrêter plusieurs fois sur des aires d’autoroutes bondées. Il nota mentalement que déménager pour le sud de la France en plein mois d’août n’était pas forcément l’idée la plus brillante qu’il avait eue. Néanmoins, depuis qu’il avait quitté l’autoroute, c’étaient les routes de campagne non entretenues qui mettait ses nerfs à vif.
Soudain, la voiture fit une embardée. Tim essaya de contrôler tant bien que mal le véhicule et arriva finalement à s’arrêter sur le bas côté. Pestant contre tous les dieux, il descendit de voiture, claqua violemment la portière et fit le tour de la voiture. La cause de sa mésaventure fut vite découverte : un pneu crevé. Il se dirigea vers le coffre pour chercher sa roue de secours. La voiture dégueula tout le contenu du coffre dès que ce dernier fut ouvert. Tim hésitait : pleurer ou hurler ou pleurer… Il respira à fond et pensa à son professeur de yoga. Mauvaise idée, cet homme l’agaçait profondément par sa souplesse folle et son calme olympien permanent. Bon gré mal gré, il finit de vider son coffre pour se rendre compte qu’il n’avait aucune roue de secours. Le soleil cognait fort, il avait chaud et il n’y avait pas une ombre à l’horizon et l’eau commençait à lui manquer. Est- ce que participer à Koh Lanta ressemblait à cela ? Une souffrance physique et psychologique intense ? Tim regarda autour de lui. Aucun bâtiment ne se dessinait à l’horizon, aucune voiture sur la route non plus. Décidément, depuis quelques semaines, plus rien n’allait dans sa vie. D’abord son licenciement, puis sa fiancée qui l’avait laissée et maintenant sa mort prochaine sur le bord d’une route de campagne. Le parisien alluma une cigarette, puis deux, puis trois et lorsque son paquet fut terminé et qu’il était calmé, il décida de remplir à nouveau son coffre. Un regard sur le GPS, lui indiqua qu’il se trouvait à une heure de marche de sa destination et son téléphone portable ne captait aucun réseau. Cela faisait maintenant deux heures qu’il était sur le bord de la route et il n’avait toujours pas vu passer une voiture. Tim imagina les titres des journaux de demain : « Un jeune homme retrouvé mort sur le bord de la route ». Quoique… Au vue de la fréquentation de cette route, ces gros titres ne paraîtraient que dans plusieurs semaines.
Ce n’est qu’après quatre heures d’attente qu’un espoir se dessina à l’horizon. Une voiture, telle un mirage, arrivait à vive allure. Tim se leva vivement et fit de grands gestes. Ses efforts furent vains, la voiture lui passa devant, soulevant un nuage de poussière qui le fit suffoquer. Comme il faisait moins chaud, le jeune homme se décida à marcher. Au bout de vingt minutes de marche et après avoir fini sa dernière bouteille d’eau, il était éreinté. Son tee-shirt était imbibé de sueur et il sentait terriblement mauvais. Ses pieds le faisaient souffrir, son corps entier n’était que douleur. Il lui sembla entendre un bruit de moteur au loin mais peut- être n’était ce qu’un mirage comme de ceux que l’on avait en plein désert lorsque notre esprit quitte notre corps pour n’être plus que divagations folles. Néanmoins, le bruit se rapprochait. Il se retourna et vit au loin un immense tracteur, ou bien est-que c’était une moissonneuse batteuse… Il n’aurait su le dire. Il s’arrêta de marcher et attendit patiemment que le tracteur arrive à sa hauteur. Lorsque le véhicule fut assez près, il héla le conducteur.
– Bonjour Monsieur ! Je suis désolé de vous dérangez, mais pourriez-vous m’amener au village le plus proche afin que je puisse téléphoner à une dépanneuse, s’il vous plaît ?
– C’est à vous la petite voiture plus bas ? demanda l’inconnu.
– J’ai crevé, c’est malheureux mais je dois absolument être à Glax sur Minervois dans (Tim consulta sa montre) une demie heure.
– Je peux vous amener jusqu’à Glax si vous voulez, mon petit gars mais pour la dépanneuse, j’ai bien peur que vous ayez à attendre lundi, voire mardi.
L’homme était assis sur son tracteur vrombissant, l’air décontracté dans son débardeur crasseux. Il portait un béret d’un autre âge dont s’échappaient quelques cheveux gris.
– Lundi ou mardi ? Vous parlez sérieusement ? Il n’y a pas de dépanneuses 24h/24.
L’homme explosa de rire.
– On est au mois d’août mon ami, ici les entreprises sont quasiment toutes fermées. Et samedi, la dépanneuse la plus proche n’ouvre pas donc…
Tim et l’homme se jaugèrent quelques secondes. Tim n’en croyaient pas ses oreilles. Il allait devoir laisser sa voiture sur le bord de la route pendant trois jours entiers. Heureusement que sa location était un meublé mais son ordinateur risquait de lui manquer, ainsi que sa console de jeux et son chargeur de téléphone ! Hors de questions de laisser sa voiture ici !
– Bon, il fait quoi le petit jeune homme ? interrogea l’homme.
– Il fait quoi ? Il fait quoi ? Je ne peux pas laisser ma voiture sur le bas côté comme ça avec toutes mes affaires à l’intérieur ! Et si on me les vole ?
– Sérieusement ? Vous avez vu beaucoup de monde passer depuis que vous êtes là ?
– Pas faux…
– Allez grimpez ! Je vous amène à Glax.
C’est ainsi que Tim fit connaissance avec Maurice dit « Rissou ». C’était un habitant de Glax sur Minervois. Il était vigneron tout comme son père et son grand- père et sûrement son arrière- grand-père avant lui. Bref, une histoire de famille. Rissou était né dans la grande ville de Narbonne et vivait à Glax depuis tout petit tout comme probablement tous ses ancêtres. Maurice se définissait comme un bon vivant, il ne disait jamais non à un bon pastaga et avait cet accent du sud que Tim avait parfois du mal à comprendre. Le visage du quinquagénaire semblait gorgé de soleil, tout comme son rire tonitruant. Maurice respirait la joie de vivre. Au détour d’un chemin, le village apparut. Quelques maisons coquettes bordées la route. D’autres étaient éparses dans le paysage. Une petite chapelle s’élevait modestement vers le ciel.
– J’espère que je vais trouver facilement la maison. Dit Tim, espérant de l’aide.
– Tu rigoles ou quoi ? Tu vas pas avoir de mal à trouver !
Maurice laissa Tim sur ce qui semblait être la place du village. Il lui indiqua où était sa maison et l’invita à venir boire l’apéro quand il en aurait le temps. Tim regarda s’éloignait son sauveur. Lorsqu’il jeta un œil à la place du village il vit deux voitures garées dont l’une indiquait le nom d’une agence immobilière. Il s’avança vers cette dernière et frappa à la fenêtre.
À suivre…