des vies débutantes – Sébastien Verne
Asphalte éditions (2019)Dans le Wisconsin en 1992 : Adrien, un jeune français, passionné de photographie, travaille comme taxi dans la petite ville de La Crosse. Son objectif est clair, travailler le plus possible pour gagner l’argent nécessaire pour aller dans le Maine et s’adonner à sa passion. Quelques mois plus tard, la chance lui sourit, une de ses photos a été repéré par le Photo Center de Rockport, Maine, où on lui propose un job de technicien à mi-temps.
Arrivé à Rockport, Adrien se lie avec Gloria, la responsable du centre et Travis, le technicien avec lequel il travaille en binôme. Très vite, ils deviennent inséparables et se lancent dans des petits trafics peu recommandables pour arrondir leurs fins de mois. En parallèle, ils ont l’occasion de rencontrer des pointures de la photographie, qui ne sont pas avares de conseils. Et puis, tout s’emballe, Travis décide de cambrioler les réserves du centre, les deux hommes s’enfuient en voiture puis Travis abandonne Adrien dans une station-service. Heureusement que Gloria vient pour le sauver de la police et qu’elle l’emmène au Québec tout proche pour qu’il regagne la France.
Vingt ans, plus tard, alors que Adrien est devenu professeur de français auprès de migrants, il reçoit une invitation de Gloria à un hommage organisé en l’honneur de Travis, photographe professionnel mort en reportage en Somalie. L’occasion lui est donnée de retraverser l’Atlantique et de retrouver les lieux de sa jeunesse.
C’est un roman organisé en trois parties, inégales. La première, la plus courte, à peine une quarantaine de pages, est superbe, rythmée. On accompagne Adrien dans ses courses, ses haltes dans les bars, ses pauses photo sur les bords du fleuve Mississipi, une séance de pêche avec Slim. Les descriptions sont précises, rapides, on est tout de suite dans le décor
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Alors Adrien fait encore deux, trois passages au dancing, les veuves et les veufs patientent jusqu’à son retour de course, réputation de taxi qui sent bon. Le compteur tourne et les miles s’égrènent. Il ouvre la fenêtre, ça sent le vieux. Ses oreilles sifflent. Le vent, le bruit et le froid remplissent son véhicule. Il traverse le fleuve. Maintenant, vers la fin de l’hiver, les berges du monstre sont un fruit flétri attaqué de pourriture, un compost en devenir, mordu jusqu’au cœur par le froid tyrannique de la saison. Une boule informe de billets verts usagés profite au fond de ses poches, il palpe sa recette, satisfait. Les danseuses en ligne du Concordia sont toutes rentrées, les rengaines country se sont enfin tues. Après son dernier passage, il s’arrête au Kwik Trip. Devant lui, un pickup hors d’âge. Du coffre dépasse, à moitié sanglé, un grand cerf abattu par balle. La langue sanguinolente, ses deux yeux rivés sur les étoiles. Du sang coagulé sur le pare-chocs, ses grands bois dépassent, il garde une présence inquiétante. Adrien fait une image et s’éloigne.La deuxième partie, c’est la période au centre photographique. Elle commence très fort par une partie de pêche au homard, où on retrouve le style du début. Il y a aussi une séance où Adrien bénéficie des conseils en développement de photo d’un des pontes du centre. En très peu de phrases, on comprend tout de l’art du développement, de la maitrise de la nuance, de la fabrication de l’image. Mais à côté de ces moments précieux, il y aussi des instants bâclés, des accélérations superflues, des faiblesses dans l’histoire. Les petits trafics, le cambriolage, la fuite d’Adrien, je suis restée un peu à côté de ces péripéties, la magie n’est plus là.
Troisième partie, vingt ans plus tard. Face aux photos de Travis, Adrien replonge dans sa jeunesse passée et perçoit la banalité de son existence. Gloria, elle, n’a pas renoncé à ses projets d’antan et la présence d’Adrien lui permet de finaliser l’arnaque où tout le monde trouve son compte, à part le lecteur, peut-être, qui ne sait plus dans quel style de roman il s’est laissé entraîner. Un bref séjour dans la tribu dont est originaire Gloria, on espère retrouver l’authenticité de la nature et des coutumes ancestrales, mais non, c’est déjà la fin, on ne sait quoi en penser !
Premier roman, très prometteur au début et c’est ce que je retiendrai de ce livre. Dommage que Sébastien Verne ait voulu juxtaposer plusieurs histoires – et encore, je n’ai pas parlé de celle de la souris qui donne lieu à une utilisation d’une chanson bien connue pour nommer les chapitres de la deuxième partie – avec des styles de narration et des rythmes différents. Mais cette juxtaposition m’a paru sans réelle nécessité, comme si l’auteur n’avait pas réussi à choisir le type de roman qu’il voulait écrire. J’espère qu’il n’en restera pas là, je lirai son prochain roman, c’est certain !
Les avis de Yann, Caroline.
À noter : Sébastien Verne nous propose sur le rabat de la quatrième de couverture une playlist à écouter pendant ou après la lecture, que l'on retrouve sur le site de l'éditeur.