C’est par hasard que je suis tombée sur ce roman. Et c’est un beau hasard. Je ne lis jamais les quatrièmes de couverture. Alors pourquoi celle-ci? Je l’ignore, et peu importe, puisqu
’elle a bien fait son job.Ils sont trois. Elle enseigne l’allemand dans un lycée mais tente aussi d’inculquer des notions de français à des migrants accueillis par une association humanitaire. Lui a accepté le travail le plus étrange de sa vie: gardien d’une station de pompage même plus en service et si isolée au milieu d’interminables champs de maïs que son employeur a dû l’y faire déposer en hélicoptère. La troisième, encore aux études, gagne sous le manteau un peu d’argent en rendant visite à un garçon autiste que celle qui se présente comme sa mère cache aux services sociaux dans un immeuble de la périphérie voué à une démolition prochaine. Tous les trois vont faire, à des degrés divers, l’expérience de l’effacement, de la perte des repères et des habitudes qui tiennent lieu le plus souvent d’identité. Mais si c’était pour mieux découvrir ce que vivent d’autres gens, et notamment les plus faibles?Après ça, j’étais plus que curieuse de rencontrer ces trois personnages et de connaître leur histoire. Ils ont voix au chapitre à tour de rôle. Forcément, les questions fusent. La prof d’allemand, à l’étroit dans sa vie, trouvera-t-elle le moyen de se désenchaîner?Que va faire cet homme abandonné dans une station de pompage désaffectée au milieu de nulle part? Va-t-il échapper à la folie? Après cinq mois de travail, les gagnera-t-il ses 20 000 euros? Pis cette ado, là, qui s’occupe du garçon handicapé... Comment se fait-il que sa mère le laisse vivre seul? Qu’a-t-elle à cacher? Et, enfin, veux-tu ben m’dire comment ces trois existences vont finir par se croiser? Autant de questions qui appellent des réponses. Et réponses il y aura. Et pas des nunuches, ni des insignifiantes.Chacune de ces trois histoires est venue piquer ma curiosité. Enlisés dans une atmosphère de grisaille, un environnement sombre, les personnages rament pour ne plus rester sur place. Les mots sont justes, pudiques. Ce qu’il en ressort, au bout du compte, est fort et beau: qu’est-ce qui peut donner un sens à une vie? Comment se sentir utile? Comment ne pas disparaître sans laisser de trace? Et si la perte de repères était un tremplin pour aller de l’avant? Et si rompre la solitude en tendant la main était une voie à suivre?Un roman d’une rare bienveillance, rempli d’humanité. On a bien trop peu entendu parler de ce roman, et c’est vraiment dommage...De nos jours, il n’y a probablement plus de terres vierges, ni d’île déserte à découvrir, mais jamais nous ne nous sommes sentis aussi seuls. Chacun court après sa vie, élabore son petit confort comme Robinson sur la gravure: une table pour asseoir sa posture, un buffet pour le peu qu’on possède sur terre, un perroquet en miroir pour être toujours d’accord avec soi-même. Et comme Robinson, on craint depuis toujours que débarque un Vendredi pour bousculer nos habitudes, Le migrant d’aujourd’hui joue ce rôle. L’humanité reste à rassembler.La vie n’est qu’une succession d’actes anodins, disjoints en apparence, qui finissent par tisser des liens secrets, empêtrer ceux qui les subissent ou en sont les bénéficiaires, les surprendre parfois au point qu’on se rend compte soudainement que ce qui a été jusqu’alors n’est plus possible.Il se pourrait qu’un jour je disparaisse sans trace,Thierry Beinstingel, Fayard, 288 pages, 2019.★★★★★