" Ils s'appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel ; Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vishnou ; D'autres ne priaient pas, mais qu'importe le ciel ; Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux "
Jean Ferrat, " Nuit et Brouillard "
Lire le roman de Hanni Münzer a fait plusieurs fois résonner en mois ces paroles de la chanson de Jean Ferrat. Parce qu'il y est question de la Shoah bien sûr, mais surtout parce qu'il met en scène une héroïne dont la force réside dans ce refus de se soumettre, de " vivre à genoux ".
Voici la quatrième de couverture du roman :Munich, juillet 1944. L'une des femmes les plus recherchées du IIIe Reich se tient face à la maison bombardée de Deborah et de son frère, qu'elle croit enfouis sous les décombres. Si elle était arrivée la veille, Marlene aurait pu les sauver. Mais qui est au juste cette femme ? La veuve d'un notable connu pour ses sympathies nazies ? Une actrice en devenir ? Une résistante ? Marlene va devoir prendre l'une des décisions les plus difficiles de sa vie : épargner la vie de millions de personnes... ou sacrifier l'homme qu'elle aime. Dans le sillage d'Au nom de ma mère, ce roman s'attache au destin d'une femme courageuse, confrontée aux soubresauts de l'Histoire.
Je ne peux pas réellement vous résumer l'histoire sans ôter à ce roman ce qui fait son sel. Il est vraiment difficile de l'abandonner en cours de lecture tant le destin s'acharne sur ces personnages si attachants.
Evidemment, il s'agit d'un roman, donc il se passe peut-être un peu trop d'événements pour que cela soit crédible, mais peu importe en fait. L'auteure parvient à camper tout cela de manière très réaliste, cruellement et affreusement réaliste.
De la guerre, on perçoit le côté allemand, on découvre l'organisation de la Résistance, la vie des déportés, mais de déportées un peu hors du commun. On côtoie les Juifs, les Polonais, les nazis convaincus, les nazis contre leur gré, les déserteurs. Cet échantil d'acteurs de l'horreur permet, non de nuancer l'image que l'on se fait des fanatiques hitlériens, mais de se rappeler qu'il n'y avait pas, en Allemagne, que des fanatiques hitlériens.
Ce que vit Marlene dépasse l'innommable, dépasse le supportable. L'auteure fait émerger un aspect des camps auquel je n'avais moi-même jamais pensé et qui m'a glacée, vraiment.
En effet, avant d'être une histoire d'amour, avant d'être une histoire sur la Shoah, ce roman est une histoire de femme. Marlene est belle mais c'est son corps qui la perd, et ce, dès le début du roman. Alitée pendant des mois suite à un attentat, Marlene ne cessera de souffrir de sa jambe, celle qui paradoxalement lui permet aussi d'avancer, de fuir. Hanni Münzer ne s'arrête pas là dans la description de l'ambivalence du rapport entre une femme et son corps. La beauté de Marlene va lui permettre de faire avancer la Résistance, de survivre à Auschwitz, certes, mais à quel prix ?
De mutilations en humiliations, Marlene, comme Jolanta, Olga et même Trudi, affrontent le statut de Femme face à l'Homme, dans tout ce qu'il a de plus bestial. Femmes, résistantes, fillettes, prostituées, tenancières, mères, elles passeront par tous les stades, elles réussiront à survivre en utilisant ce corps qui leur porte tant de préjudices, en le rejetant le plus loin possible de leur cerveau et de leur cœur, en s'y accrochant avec une force décuplée par la maternité. Elles apprendront à jongler entre les forces de ce corps qui peut rendre les hommes fous, amoureux, violents, en tentant d'en rester la maîtresse, d'en faire l'outil dont elles ont besoin, afin de ne pas en devenir elles-mêmes l'instrument. Voilà ce qui m'a le plus marquée dans ce texte, voilà ce qui en fait l'originalité : porter un message féministe, dans cette période où l'Humain lui-même semble avoir complètement disparu.
Je n'ai pas le plaisir de connaître le précédent roman de Hanni Münzer, Au nom de ma mère, mais je vais essayer de remédier à cette lacune prochainement...
Priscilla