3.
Tim se retrouvait donc tout seul dans ce vaste espace à moitié vide. Il balaya du regard la pièce et essaya d’imaginer mentalement où il allait poser ses très chères affaires. Sa voiture se trouvait à quelques kilomètres de là et il n’avait rien à manger pour la soirée. Pas de dépanneuse avant un ou deux jours ! Comment allait-il survivre ? Il s’imagina entrain d’allumer un feu de camp au milieu du jardin pour faire griller la viande qu’il aurait courageusement chassé. Il savait comment s’y prendre, il avait vu le personnage de son jeu vidéo le faire à plusieurs reprises. Tim décida de faire le tour du propriétaire.
Le salon ne comprenait qu’un canapé et une immense bibliothèque dans laquelle trônaient quelques vieux livres. Il s’approcha par curiosité et lu sur les tranches les titres : Robinson Crusoë, Le Comte de Monte- Cristo, Les Misérables et Le guide du potager. Timothée grimaça. La lecture n’avait jamais été son fort. Dès les premières pages, une migraine le prenait. La cuisine était plutôt sommaire. Quelques meubles, une gazinière, une table, quatre chaises et un frigo. Les meubles contenaient de la vaisselle fleurie et quelques casseroles. Pas de trace de nourriture. L’inspection minutieuse de l’étage ne lui révéla rien de plus. Il trouva une énorme bibliothèque dans la chambre d’ami et celle- ci était pleine à craquer. Beaucoup de polars recouvraient les étagères.
La faim se faisait sentir. Il se décida à se faire livrer à manger. Le jeune homme imagina une pizza quatre fromages dégoulinante et il se sentit ragaillardi. Il saisit son téléphone afin de trouver le numéro de la pizzeria la plus proche. Malheureusement, le réseau était aux abonnés absents. Pas de réseau à l’étage, pas de réseau au rez-de-chaussée, pas de réseau dans le jardin. Tim commençait à désespérer lorsqu’il aperçut une petite butte non loin de là. Plein d’espoir, il se dirigea d’un pas vif vers le monticule grimpa tout en haut, tendit le bras tout en se mettant sur la pointe des pieds. Enfin, une minuscule barre venait de s’allumer mais il ne fallait pas se faire d’illusion, cela ne suffirait jamais à aller consulter internet.
-Tu fais quoi p’tit gars ?
Tim sursauta et faillit lâcher son précieux smartphone. C’était Maurice.
-Je cherche à téléphoner.
-C’est une drôle de technique que tu as là !
-On ne capte aucun réseau ici ?
Maurice fit non de la tête. Il siffla et un chien sortit des fourrés avec un air tout fou.
-Tu veux téléphoner à qui ?
-Je voulais juste commander une pizza… Mais bon, sans réseau, pas d’internet donc pas de numéro de pizzeria et de toute manière, je n’aurai pas pu téléphoner donc…
Tim descendit de son talus l’air abattu. Maurice lui donna une grosse tape dans le dos et lui dit de sa grosse voix.
-Allez viens ! Je te ramène chez moi ! Ma femme va être ravie de voir du sang neuf.
Ils se dirigèrent donc vers le village à peine deux maisons après celle de Tim, ils pénétrèrent chez Maurice. L’air était frais, l’intérieur coquettement décoré. Rissou amena le jeune homme dans la cuisine où une femme avec une blouse fleurie était entrain d’éplucher des patates. Sans se retourner elle dit :
-J’espère que tu as vérifié que le chien n’avait pas de garafoch avant de rentrer parce qu’après j’en retrouve plein le canapé !
-Ouiiiiiii !dit-il en faisant un clin d’œil à Tim. On a de la compagnie Madeleine.
Madeleine se retourna vivement. Ses cheveux blonds étaient nonchalamment noués sur sa tête. Son teint rougeaud laissait deviner de longues heures d’exposition au soleil. Ses yeux bleus observaient Tim avec surprise. Les bras ballants, elle demanda à Maurice.
-C’est qui ?
-Madeleine, je te présente Timothée, notre nouveau voisin.
-Un nouveau voisin ! Sa voix exprimait une surprise non feinte.
-Tim veut utiliser le téléphone, ça ne te dérange pas ? demanda son mari.
-Non ! Non !
-Merci Madame. Répondit Tim en lui tendant la main. Madeleine ayant les mains pleines de patates, il se ravisa vite et fit un sourire gêné.
Maurice guida Tim dans le salon. Un beau canapé trônait au milieu, avec une magnifique table basse. Un ouvrage en laine traînait sur un accoudoir. Tim aperçut une magnifique radio ancienne sur un meuble d’un autre âge. Lorsqu’il vit le téléphone, le parisien n’en crut pas ses yeux. Il avait à sa disposition un vieux téléphone à cadran. Ses parents en avaient un qui ressemblait exactement à celui- ci. Maurice lui tendit un énorme livre.
-C’est quoi ?
-Un annuaire.
Tim regarda hébété Rissou lui tendre cet énorme pavé. Voyant la mine déconfite du jeune homme, Rissou se sentit obligé d’ajouter.
-L’annuaire, c’est un gros livre dans lequel les numéros de téléphone sont répertoriés. C’est pas internet, mais c’est aussi efficace.
Dans quel endroit était tombé Tim ? Un annuaire ? Bien sûr qu’il savait ce qu’était un annuaire ! Il saisit l’énorme pavé et s’évertua à chercher le numéro d’une pizzeria. Maurice l’aida en lui indiquant la ville la plus proche. Tim ne connaissait pas la région et hormis les noms des grandes villes, il était un peu perdu. Il composa le numéro avec empressement. Il sentait déjà la bonne odeur du fromage fondu. Mais son bonheur s’estompa rapidement au moment de donner l’adresse de livraison.
-Désolé monsieur, mais on le livre pas jusque là !
-Comment ça ? demanda Tim surpris.
-On ne va pas faire trente minutes de route pour livrer une seule pizza !
Tim n’en revenait pas. La pizzeria la plus proche se trouvait à une éternité. De mauvaise foi, il pesta contre le jeune homme au téléphone en disant que c’était une honte.
-Écoutez moi, monsieur, ce n’est quand même pas ma faute si vous êtes dans le trou du cul du Monde !
Ne sachant quoi répondre Tim raccrocha. Il resta muet durant quelques secondes devant le téléphone avant de rejoindre Madeleine et Rissou dans leur cuisine. Madeleine finissait de peler les patates et Maurice les découper délicatement pour en faire des frites.
-Alors ? demanda Maurice.
-Alors ils ne livrent pas ici…
Le couple échangea un regard entendu.
-Faut pas faire cette tête jeune homme. Vous allez rester manger avec nous ! déclara Madeleine avec un grand sourire.
Tim les observa tous les deux et pour la première fois depuis longtemps, il eut chaud au cœur.