Né d’aucune femme – Franck Bouysse
Et s’il n’en restait qu’un ?… Ce serait celui-ci…
Pour quelles raisons serais-je aussi catégorique ? Peut-être parce que de ce livre jaillit une lumière éblouissante que mes yeux ne sont pas prêts d’oublier… et que sur mes mains scintille encore une poussière d’étoiles cachée sous cette sublime couverture…
Je suis soulagée d’avoir lu ce livre: ne pas l’ouvrir aurait été impardonnable. Si Plateau et Grossir le ciel m’avaient beaucoup plu, je pense que l’auteur atteint ici l’apothéose : quelle émotion, dénudée, à fleur de peau! Quelle lecture bouleversante, semée de rebondissements jusqu’à la dernière page…
Un lecteur averti en vaut deux : en dépit de sa beauté farouche, ce roman noir rural n’en est pas moins d’une rare violence. Les faits sont sordides, l’atmosphère horrifique, qui n’est pas sans rappeler Le Tour d’Ecrou d’Henry James, nous entraîne dans la campagne profonde du XIXème siècle. Une jeune fille de quatorze ans, Rose, est vendue par son père à un châtelain nommé Charles, qui vit avec sa mère, la vieille. Tous deux, habités par un ignoble dessein, l’asservissent et lui font connaître l’enfer. Rose trouve toutefois le moyen de relater son calvaire dans un journal intime lu par la suite par un curé de campagne. Grâce à ces mots frénétiques, que l’on croyaient inaccessibles pour une fille de son rang, Rose trouvera le moyen de se libérer de ses bourreaux.
L’excellence de Franck Bouysse tient dans sa capacité à créer, à partir d’une histoire très sombre, une oeuvre poétique d’une force magistrale. Différents sujets y sont abordés, la liberté, l’écriture… Mais je retiendrais ici celui de la maternité: Rose, enceinte d’un enfant du viol n’est pas une femme, elle n’est plus qu’un animal à qui on a ôté de force toute humanité et se compare à une vache allant vêler. Les mots claquent et brutalisent le lecteur. Puis a lieu l’accouchement dont la scène est magnifique : Rose redevient une femme lorsque naît l’instinct maternel qui tient du miracle. « Mon fils » reconnaîtra t-elle… Indépendamment de la suite du livre, je pense qu’à cet instant précis Rose est sauvée… Lorsqu’on lui enlève son enfant quelques lignes plus loin, Rose redevient animale : « Génie m’a montré comment me traire ». Le style puissant de ce livre est extrêmement travaillé et imagé, y compris dans le langage parlé de Rose. Chacun des personnage pour qui le lecteur découvre, à tour de rôle, le point de vue, est brut, sans fioriture, nous livrant en pâture, à nos émotions les plus profondes.
Comment clore mon appréciation de ce livre, que j’ai tant de mal à refermer (au point qu’il me semble incongru d’envisager une autre lecture)… si ce n’est en vous suppliant de le lire…