Pourquoi les hommes fuient d’Erwan Larher

Pourquoi les hommes fuient d’Erwan LarherPourquoi les hommes fuient ?

Erwan Larher

Quidam

Août 2019

352 pages

« C’est peut-être confortable, remarque, de vivre dans un roman… »

Je vous préviens tout de suite, cette chronique ne sera absolument pas objective. J’aime, non j’adore, tout ce que je lis de cet auteur et j’ai avalé ce dernier roman avec une telle gourmandise que j’en aurais même repris encore s’il y avait eu du rab.

Le point fort de ce livre, c’est le même que celui des livres précédents, c’est le style ! Cet auteur a une écriture incroyable qui t’emmène dans son monde avec une énergie pas commune. C’est la première fois qu’il fait parler une jeune femme hyperconnectée, avec un ton, un vocabulaire, des  expressions propres à cet âge, et tout ça avec naturel. Elle a de l’humour la petite Jane, de l’aplomb, de la répartie. Elle n’est pas farouche comme le montrent certaines scènes assez jubilatoires et son inculture est très drôle jusqu’à nous faire presque passer pour des vieux cons.

« Bordel, Greg, je me suis padgée à cinq dum, et puis on n’entre pas dans la chambre des gens à neuf heures un dimanche matin !

Ce taré de petit bourge confit dans ses habitudes, je parie qu’il préférerait une dictature militaire à une pénurie de lait bio. »

Elle recherche son père, qu’elle n’a jamais connu, qui pourrait être un ancien musicien ou un autre.

Tiens, la musique, justement, ce roman est un vrai morceau de rock, il virevolte, il t’accroche sur un riff de guitare, il se fait plus doux sur certains passages, et de nouveau il t’électrise, te chahute.

Mais ce roman n’est pas que la quête de cette fille, c’est aussi l’image de notre société, en filigrane, mais bien là, au détour de chaque page, dans cette vision des réseaux sociaux, cette vie en hashtag, et une certaine critique de notre société.

Et puis c’est la pluralité des voix, donc des styles, parce qu’Erwan Larher sait faire ça, adapter son langage à son personnage. Et quel dialoguiste !

Et puis, la pluralité des supports : wikipédia, sms, articles de blog, chanson, qui apportent du grain à moudre.

Et puis Marguerite qui n’aime toujours pas ses fesses et sa mère, Billie qui ne mâche pas ses mots. J’aime quand les auteurs font des clins d’œil (ou clins d’yeux, je ne sais jamais !) à leurs romans précédents, ça crée une complicité. Mais ici, c’est plus que ça, les personnages tiennent un rôle pas négligeable.

Et enfin, les Jo et les … qui jalonnent le roman et instillent chez le lecteur une volonté d’en savoir toujours davantage.

« Tu avais des opinions, des avis, une grande gueule ; maintenant tu as des crampes. Tu ne te plains plus, te lamentes plus, personne pour t’écouter de toute façon, les poules n’en ont rien à cirer de tes jérémiades, tu n’as pas plus d’états d’âme qu’elles du coup. Elles pondent des œufs sans se poser de questions alors tu plantes, cueilles, chasses sans te poser de questions. S’en posaient-ils tes ancêtres paysans berrichons au XVIIe siècle ? La culture, l’éducation ont enherbé les esprits, lents vénéfices qui ont accouché d’ego monstrueux. Et de questions. Trop de questions. Heureusement on a inventé la télévision. »

Il y a du très travaillé, de ces phrases qu’on relit plusieurs fois pour leur rythme, leurs mots, les images qu’elles suscitent.

« L’hiver t’est merveille à présent. Lactescente pureté tavelée de crissements, de craquements, ponctuée de diamants givrés, le rien réverbère le rien à perte de vue, un aperçu des origines ou de l’éternité. Les larmes nivéales aux branches pendues disent le chagrin de la forêt, affirment qu’elle était là avant la matrice qui la rase et survivra à l’implosion de celle-ci.

Découvrir que le silence de la solitude n’en est pas un du tout. »

Une vraie partie de plaisir à ne surtout pas fuir !

Bien sûr Keisha a aimé (c’est elle qui m’a fait découvrir Erwan Larher et je me rends compte en relisant sa chronique que j’ai cité les mêmes passages qu’elle… tant pis, je les laisse), mais aussi Nicole.