Au pied du mur, Tim se dirigea en traînant les pieds vers le boulodrome. L’endroit était abrité par un immense mûrier platane. Un petit courant d’air venait rafraîchir l’atmosphère.
– Je prends Tim dans mon équipe ! On se le fait en doublettes ou en triplettes ? lança Rissou à la cantonade.
Personne ne répondit. Les autres hommes du village, ils étaient 7, regardaient le bout de leur chaussure visiblement mal à l’aise. Ils jetaient des regards furtifs à Gabi qui semblait remonté comme une pendule et lustrer ses boules avec vigueur.
– Je crois qu’on va partir sur une doublette… Qui va avec Gabi ? interrogea Maurice.
Aucune réponse.
– C’est bon les gars, on sait tous que Gabi est mauvais joueur mais bon, il est pas méchant !
– On était convenu qu’on devait jouer avec lui à tour de rôle Rissou et là c’était ton tour ! lança le plus courageux du groupe.
Maurice fit la grimace.
– Mais Tim me connaît, il sera plus à l’aise avec moi. Je prends le tour du suivant sur la liste.
Un grand homme blond souffla et murmura un « shit ». Il était élégamment habillé et portait des petits mocassins ajourés.
– Je être obligé de jouer avec Gabi ? demanda le blond avec un fort accent anglais.
– Ouais Will, t’as pas le choix mon pote…dit Maurice en lui tapotant dans le dos pour compatir.
Gabi vit arriver William vers lui.
– Ah non ! Pas l’english ! hurla-t-il.
Will se tourna vers les autres qui lui firent signe d’avancer.
– Ah non ! Ah non ! C’est pas normal ! Pourquoi c’est pas quelqu’un d’autre ?
– On a tiré au sort ! mentit Claude avec assurance.
Gabi pesta en disant que ce n’était pas juste et que dans ces conditions, il ne pourrait pas jouer correctement sa partie. Lorsqu’il se calma la partie put enfin commencer. Maurice lança le cochonnet et Gabi tira la première boule de la partie puis se fut au tour de Tim qui lança tant bien que mal. Le jeune homme connaissait les bases du jeu. Il savait qu’il fallait se rapprocher le plus du cochonnet. Il pensait naïvement que ses connaissances sommaires lui permettraient de jouer sans faire trop de vague, et, pour l’instant, sa stratégie s’avérait payante. Son équipe menait 7 à 5 et Gabi malmenait le pauvre Will qui marmonnait des phrases en anglais et lançait des regards implorants aux autres hommes.
– Bon, p’tit gars, il faut absolument que tu tires ! chuchota Rissou à Tim.
Ce dernier acquiesça et lança sa boule comme d’habitude, elle roula non loin du cochonnet.
– T’as pas tiré mais c’est pas mal…dit Maurice.
La partie continuait, et l’équipe de Rissou et Tim menait miraculeusement la danse au grand dam de Will qui se faisait traiter de tous les noms d’oiseaux par un Gabi furibard. Le score était maintenant de 12 à 10. La configuration du jeu semblait complexe. Maurice avait arrêté Tim juste avant qu’il lance et il faisait des aller retour entre lui et le jeu.
– Écoute- moi, bien, tu tires ! Tu pointes pas !
Tim sentit la pression montait en lui. Les autres habitants du village s’étaient rassemblés et tous regardaient la partie avec attention. Un silence de mort régnait sur le boulodrome.
– Je peux te parler deux minutes ? demanda Tim à Rissou juste avant de lancer.
– Maintenant ?
– Oui !
Les deux hommes s’éloignèrent de la « foule ». Les autres les observaient.
– Écoute Rissou, faut que je te dise quelque chose… Je ne connais pas la différence entre tirer et pointer. Moi, je lance la boule en priant le dieu pétanque qu’elle se rapproche le plus possible du jambonneau !
– Du cochonnet ! On appelle ça le cochonnet !
Maurice se passa une main sur le visage.
– Tu fais n’importe quoi depuis le début ? Tim acquiesça. Fan de pute, t’as le cul bordé de nouilles pour avoir fait d’aussi bons tirs. Tim haussa les épaules. Je t’explique : le pointeur, il doit se rapprocher le plus possible du cochonnet et le tireur, lui, il doit essayer de dégager les boules qui gêne pour essayer que son équipe prenne le point. T’as compris ?
Tim fit oui de la tête et ils retournèrent ensemble sur le terrain de jeu. Une des vieilles dames de tout à l’heure semblait légèrement pompette et Madeleine la tenait par le coude. Tim respira à fond, se concentra sur les boules et lança la boule. La scène semblait se passer au ralenti. Il vit la boule s’élever dans les airs et retomber lourdement sur les boules de l’équipe adverse permettant ainsi à sa propre équipe de remporter deux points et de gagner la partie. Rissou cria de joie ! Madeleine lâcha la vieille qui faillit tomber ! Claude sourit et Gabi injuria copieusement le pauvre Will.
– Arrête de rouméguer Gabi, ce n’est qu’un jeu !
– La chance du débutant ! Me faire humilier par un parigot ! Je veux ma revanche la semaine prochaine ! Je vous reprends tous les deux mais moi je veux pas de l’english, c’est Claude qui jouera avec moi !
Claude se retourna lorsqu’il entendit son nom et fit un grand sourire béat. Gabi ramassa ses boules et rentra chez lui furieux. Madeleine ramena la vieille chez elle et le reste des habitants rejoignit les tables tranquillement pour boire un dernier verre.
– Vous avez un pneu crevé à ce qu’il paraît ? glissa Will à Tim.
– Oui… et apparemment, les dépanneuses se font rares dans les parages.
– J’ai un kit anti-crevaison à la maison if you want. Vous pourrez amener votre voiture au garage comme ça ! proposa Will.
– Avec plaisir ! Merci, vraiment.
Ce soir là, Tim rentra chez lui quelque peu ivre mais heureux.