J’avais sept ans lorsque les insurgés ont renversé l'Empire, lorsqu'un vent de liberté et d'espoir a secoué jusqu'aux tréfonds de notre trop vieux monde. Je sais, aujourd'hui, que le drame était déjà là, en germe, dans les toutes premières heures de la révolution… Aujourd'hui les golems immobiles se dressent aux portes de l'ancienne capitale, et des prédicateurs errants nous promettent le prochain retour des Wurms, des anciens dragons d'ombre qui autrefois asservissaient les humains. Je ne vais pas vous narrer le combat glorieux de la Révolution triomphante, car ce combat-là n'a jamais eu lieu. Les héros parfaits n'existent que dans les bylines, et les insurgés n'étaient jamais que des hommes. Par contre je vais vous raconter comment nous avons continué à y croire, même dans les heures les plus sombres, même quand nous n'avions plus d'espoir. Comment nous n'avons jamais abandonné.
Pourquoi ce livre ? L’aventure Critic a commencé avec l’achat des Seigneurs de Bohen. L’achat, simplement. Car avant que je ne me décide à le lire en février dernier (eh oui, un an pile entre les deux lectures, ça ne se calcule pas !), le premier tome a erré longtemps dans ma PAL, jusqu’à ce que j’apprenne la sortie de sa suite, en fait. J’avais déjà quelques Critic à mon actif, et je ne pense pas m’arrêter en si bon chemin. Preuve en est avec cette critique !
Les Révoltés de Bohen rassemble les personnages du premier opus, du moins les vivants, quinze après les drames et la liberté issus de la Révolution. Mais, comme souvent, on ne maîtrise pas toujours les aléas du destin et encore moins les ficelles de la politique. La société se gangrène autant que les bas-fonds d’une capitale, et c’est tout un continent qui devient irrespirable. J’admets que j’ai franchement eu du mal à reprendre cet univers. Si mon adhérence à lui n’est pas à prouver, j’ai eu du mal à resituer les personnages et l’absence de rappels sur qui a fait quoi n’a en rien aider l’acclimatation. Il m’a donc fallu atteindre la centième page pour accepter de lâcher prise après avoir (enfin) reconnu les grands figures qui ont mené la guerre. À partir de ce lâcher prise, je me suis tout bonnement régalée. L’autrice reprend son schéma narratif du premier volume pour en faire quelque chose de plus complexe, dépendant des personnalités bien trempées, des espoirs et des faiblesses de chacun. La vieillesse de certains n’aident pas non plus, le feu de la vie est moins présent. Pourtant on perçoit aisément cette combativité mise au service des plus faibles et du prochain. Estelle Faye en profite également pour renforcer son univers en lui ajoutant une mythologie, qui servira de fond à son intrigue. La magie se développe également et, avec elle, tout un pan de la société va se réveiller et se battre pour l’égalité des sexes et des forces. Car oui, au travers de ces personnages et de cette Révolution, l’ouvrage embrasse un cause actuelle, même plusieurs causes, et défend la voix des justes. Sans être ronflant ou omniprésent, les messages passent et apportent du grain à moudre.
Là-dessous, une tension monte, incessante, alors que l’intrigue prend le temps de développer les contextes, les personnage, la foule grondante qui va accepter de suivre la Voix de Bohen, à nouveau. D’abord visible, la tension devient palpable jusqu’à imploser aux pieds du mur de Serna Chernik, où la bataille rageuse fera montre de quelques rebondissements exaltants. On ne sait pas comment ça va finir, si Cigale va parvenir jusqu’au trône et ce qu’elle en ferait ensuite. On ne sait pas comment les autres vont réagir en la voyant de nouveau debout à côté de la bannière des revendications. On ne peut que respirer cet air putride, chargé de décomposition et de flammes, et espérer au même titre qu’Andreïd, Maëve et les autres. Ca prend aux tripes et les deux cents dernières pages furent difficile à lâcher.
Un des gros et seuls bémols de cette histoire réside dans les scènes érotiques. Sans en faire trop dans les descriptions, qui en soi sont suffisamment imagées pour ne pas gêner le public, j’ai trouvé que certaines scènes étaient tout à fait inutiles et souffraient de la volonté de vouloir en faire trop pour présenter l’asservissement de quelques personnages. Que les deux sexes soient confondus corroborent le discours des égalités mais ne changent rien au fait que cela reste lourd, surfait, et je m’en serai donc passée à plusieurs reprises.
Les personnages sont puissants et desservent une cause tout aussi poignante. Je ne pensais pas en revoir certains, fut choquée par l’état de plusieurs d’entre eux, au début du tome ou lorsqu’on les retrouve, au milieu du livre ou à la fin. La position de mes favoris m’a également serré le cœur à de nombreuses reprises, surtout le pantin de l’Autre, que j’avais beaucoup aimé dans le premier opus, et Mordred, perdu… Ma préférence a évolué par rapport au premier volume, même si certains emportent toujours la même affection. Cependant la plupart m’ont touchée dans leur fin et c’est le cœur serré que je leur ai dit adieu.
La plume est toujours aussi belle. Sans être addictive comme le sont certaines autres, elle décrit avec parcimonie et beauté les paysages qui façonnent Bohen. On perçoit une justesse dans les descriptions comme dans les dialogues, ce qui rend le tout plus réaliste, plus attirant. Sans en fait trop non plus, elle embellit et pointe du doigt les défauts pour les évincer. J’ai adoré m’immerger dans cet univers et, à l’instar des caractères, je le quitte à regret.
Avec amusement, on va dire qu’il aura fallu du temps pour faire chauffer le diesel. Mais une fois opérationnel, on peut sortir la décapotable (ça veut rien dire, vous êtes sûr ?). Sincèrement, l’entrée en lice fut difficile, on est projetés quinze ans après une situation qu’on pensait tout autre après la manière dont on a lâché les personnages à la fin de l’intrigue première. Il faut croire que rien ne se passe jamais comme prévu. Entre mythes et magie, Estelle Faye donne un second souffle à son univers en le complexifiant sans en faire des tonnes. Monde implacable, paysages divers à la fois hostiles et envoûtants, et des personnages qu’on retrouve avec joie et émotion, elle a su manier les ingrédients pour faire de ce livre un univers marquant. J’ai refermé les dernières pages le cœur serré. Après plus de 700 pages de plaisir, j’ai ressenti comme un goût de trop peu...
17/20
Les autres titres de la saga :
1. Les Seigneurs de Bohen
2. Les Révoltés de Bohen
- saga terminée -