Le Bal des Folles – Victoria Mas

Par Lison Carpentier @loeilnoir1

Le Bal des Folles – Victoria Mas

Peinture sociale d’une époque, Le Bal des Folles dénonce la condition féminine dans le Paris de la fin XIXème siècle. Chaque période a ses travers, mais les temps changent et les moeurs évoluent fort heureusement… Comment imaginer un temps où un simple propos contestataire ou une idée rebelle, pouvaient nuire à une femme au point d’être trahie par les siens et emmenée de force dans un asile d’aliénées ?

A l’Hôpital de La Salpêtrière, lieu mythique qui a, à cette époque « des allures de petit village bucolique« , le Service des Hystériques attise la curiosité du tout Paris. On y rencontre du beau monde : les professeurs Babinski, Gilles de La Tourette, mais surtout J.M Charcot dont les travaux aboutissent à la création de la première chaire mondiale de neurologie en 1882. Celui-ci agit avec autorité et conviction et impose le respect, comme en témoigne Geneviève, son infirmière dévouée qui le vénère comme un Dieu. On y croise aussi et surtout des femmes, de 13 à 65 ans, qui pour la plupart, on le devine, n’ont rien à faire là… Louise, la naïve adolescente, bercée d’illusions, dont le destin est semble-t-il de revivre un lourd passé… Eugénie, une jeune femme de 19 ans issue de la bourgeoisie traditionnelle, bien déterminée à revendiquer son indépendance devant un père autoritaire qui ne voit en elle de valeur qu’en tant que future épouse d’un bon parti… Mais Eugénie a « un don », qui l’effraie et va lui attirer les foudres…

Imaginez un bâtiment dont les couloirs ressemblent à des tunnels interminables d’où surgissent des profondeurs des gémissements, des pleurs que le visiteur réfute « non par indifférence mais par faiblesse« … L’Hôpital de La Salpêtrière est « un dépotoir pour toutes celles nuisant à l’ordre public. Un asile pour toutes celles dont la sensibilité ne répondait pas aux attentes. Une prison pour toutes celles coupables d’avoir une opinion ». Et pourtant, certaines de ces internées qui, à l’instar de Thérèse, surnommée « la Tricoteuse », ont été violentées et meurtries dans le passé, ont finalement trouvé refuge à la Salpêtrière et ne voudraient en sortir pour rien au monde, de peur d’affronter la vraie vie. N’est-ce pas là la véritable aliénation ?

A cette époque, la société est exclusivement masculine, la place des femmes est à la maison à élever les enfants tandis que l’élite parisienne constituée d’hommes dont le statut social est acquis dès la naissance, se rencontrent dans des Salons, où l’on s’échange des idées préconçues autour de la politique, la littérature et le théâtre Les hommes n’ont pas la part belle dans ce livre: hormis le Pr. Charcot et un rôle en demi-teinte pour Théophile le frère d’Eugénie, ce sont pour la plupart des médecins voyeurs, qui au pire « envisagent » leurs patientes, au mieux les considèrent comme des objets expérimentaux. Chaque vendredi des séances ont lieu dans la salle d’examens, transformée en « cirque à femmes », où l’on utilise une patiente pour des expériences d’hypnose. Et puis ce fameux bal qui finalement est assez peu évoqué, où les internées viennent parader devant des convives triés sur le volet : une cérémonie préparée avec joie et impatience qui est en fait une cruelle exposition destinée à amuser la bonne société…

En dépit d’un sujet intéressant, mon avis sur ce livre est très mitigé. J »ai apprécié le style de l’auteure qui par une écriture travaillée dépeint habilement la réalité sociale d’une époque : le traitement réservé à ces personnages féminins, qui somme toute sont attachants, suscite en effet l’indignation. Intriguée par le thème de ce livre, je m’attendais toutefois à plus de documentation sur le travail effectué à cette époque en psychiatrie. Ce sujet est uniquement survolé. Et puis, et surtout le point négatif, à mon avis, est l’acceptation du surnaturel comme un élément bel et bien ancré dans la réalité. Eugénie communique avec les morts mais elle n’est pas folle puisque Geneviève a la preuve qu’elle est véritablement en contact avec sa soeur… Pardonnez-moi mais à l’inverse de Geneviève, mon esprit cartésien ne parvient pas à admettre cette évidence. Alors que le but de ce livre est justement de montrer que des femmes ayant toute leur raison puissent être internées injustement dans un hôpital psychiatrique, pour quelle raison utiliser un élément surnaturel qui, je trouve, dessert la crédibilité de l’intrigue ?


L’auteur : Victoria Mas est née en 1987 dans les Yvelines. Elle étudie le cinéma et la littérature anglo-américaine aux Etats-Unis où elle a vécu 8 ans. Elle a travaillé dans le cinéma comme assistante de production, scripte et photographe de plateau. En France elle obtient un master de littérature à la Sorbonne. « Le Bal des Folles » est son premier roman, il a obtenu le Prix Renaudot des Lycéens et sera adapté au cinéma par l’actrice et réalisatrice Mélanie Laurent.