Propriétés privées de Lionel Shriver

Par Lettres&caractères

Je n’aurais jamais acheté le dernier Lionel Shriver, alors même que cette auteure m’avait fait vivre des émotions fortes impossibles à dépasser avec son chef-d’œuvre Il faut qu’on parle de Kevin.

Propriétés privées de Lionel Shriver (éditions Belfond)

Mais après cette œuvre magistrale, je suis allée de déceptions en désintérêt avec ses romans, ne parvenant pas à comprendre comment un écrivain était capable d’un tel tour de force un jour et de telles platitudes le lendemain. Alors, non je ne l’aurais pas acheté, j’étais bien décidée à ne plus me faire avoir, considérant qu’elle ne renouvellerait jamais son exploit.

Mais quand Babelio m’a proposé son nouveau livre, Propriétés privées, dans le cadre d’une masse critique privilégiée, j’ai sauté sur l’occasion. Dans ce cas, il ne me coûtait rien de laisser une nouvelle chance à la mère de Kevin (la pauvre…), d’autant plus qu’il s’agissait cette fois d’un recueil de nouvelles autour d’une thématique qui me plaît beaucoup : la propriété.

Posséder ou ne pas posséder ? Et posséder quoi et pourquoi ? Telles sont les questions centrales de cet ouvrage.

Je ne sais pas si la morale de cette histoire est qu’on ne devrait jamais acheter de maison. De toute façon, ce serait une morale qui ne servirait pas à grand-chose, dans un pays où l’accession à la propriété est tellement gravée dans la pierre que les intérêts des crédits immobiliers sont déductibles des impôts. Qui en tiendrait compte ? […] Quoi qu’il en soit, des histoires arrivées à d’autres pourraient elles aussi se condenser en un même titre de chapitre digne d’un guide matrimonial pour les nuls : Ne jamais acheter de maison. (incipit des Nuisibles)

J’ai démarré la première nouvelle, qui est en fait une novella d’une bonne centaine de pages, totalement dépitée. Il ne m’a pas fallu longtemps pour m’ennuyer sec et pour me dire qu’une fois encore je ne m’étais pas trompée. J’étais prête à reposer ce bouquin pour passer à autre chose quand je me suis rappelée qu’il y avait en tout 12 nouvelles. Elles ne pouvaient pas être toutes mauvaises quand même ? J’ai alors sauté le Lustre en pied pour me rendre directement à la suite. J’ai lu Le sycomore à ensemencement spontané avec une certaine indifférence pour l’histoire – jusque-là rien de nouveau – mais avec un intérêt croissant pour le style de l’auteure. Lectrice farouche au départ, je me suis laissé séduire par ce choix du mot juste, ces phrases ourlées sans emphases mais avec beaucoup d’allure, ces personnages décrits par petites touches comme une toile qui se construit et dont le sujet se dévoile petit à petit devant nos yeux. J’ai trouvé tout ça très beau, très maîtrisé, très ensorcelant finalement. J’ai poursuivi ma lecture avec ce regard neuf sur le style de Lionel Shriver et j’ai aimé ce que j’ai lu ! J’ai aimé chaque nouvelle après ça, trouvant de plus en plus d’intérêt aux histoires, appréciant la manière dont elle plantait le décor, dont elle analysait les petits gestes du quotidien et nous questionnait l’air de rien sur nos rapport aux choses et aux personnes. Il n’y a rien de grandiloquent à en attendre, vous ne serez pas sonné à la sortie mais vous garderez – en tout cas je l’espère – une sorte de douce torpeur vraiment plaisante en refermant ce livre.

De toutes les nouvelles qui composent ce recueil, j’ai forcément ma préférée. Terrorisme domestique est une histoire de Tanguy bien décidé à ne pas se laisser éjecter du nid parental malgré ses 30 ans bien sonnés. C’est savoureux, on a de la peine pour ces parents capables d’inventer tous les subterfuges possibles pour pousser leur rejeton à voler enfin de ses propres ailes. On a pitié d’eux et du fiston un peu aussi et surtout, on espère secrètement ne jamais avoir à suivre leur exemple.

Et puis il y a aussi Taux de change qui laisse un petit goût désagréable dans la bouche en nous renvoyant à la figure le rapport malsain que l’on peut entretenir avec l’argent. Mais toutes les autres ont aussi quelque chose à nous apporter, que ça soit un message à méditer, le rappel de certaines valeurs oubliées, un sourire en coin ou simplement  le plaisir de lire de beaux textes.

C’est assez fou mais ce recueil vient de m’ouvrir les yeux sur le style de cette auteure et me donne très envie de retenter la lecture de certains de ses titres que j’ai encore dans ma bibliothèque. La charge émotionnelle de Kevin était tellement forte que j’ai vécu le texte plus que je ne l’ai lu à l’époque et j’aimerais là encore relire ce roman en m’attachant cette fois à l’écriture puisque je sais déjà à quoi m’attendre du côté de l’histoire. C’est une redécouverte qui me met vraiment en joie et je remercie très chaleureusement Belfond et Babelio pour m’avoir réconciliée avec cette auteure qui a tant compté dans ma vie de lectrice.


L’ESSENTIEL

Propriétés privées de Lionel Shriver (éditions Belfond)

Propriétés privées
Lionel SHRIVER
Editions Belfond
Sorti le 20/02/2020
456 pages 

Genre : nouvelles (2 novellas d’une centaine de pages et 10 nouvelles)
Plaisir de lecture :
Recommandation : oui
Lectures complémentaires : Il faut qu’on parle de Kevin de la même auteure (je vous en parle dans mes livres fétiches)

RÉSUMÉ DE L’ÉDITEUR

Ne dit-on pas que les choses que l’on possède finissent toujours par nous posséder ?

Alors que son meilleur ami décide de l’exclure de sa vie, une artiste tente de récupérer le cadeau démesuré qu’elle lui avait offert.
Un couple entreprend de bouter hors de chez lui son fils de trente ans qui, en bon millenial, va mettre en scène cet  » abandon  » sur les réseaux sociaux et devenir une star du net.
Un businessman détourne l’argent de son entreprise et s’envole pour une vie dorée au soleil, avant de se voir rongé par la culpabilité.
Une femme s’acharne à posséder une maison qui ne veut pas d’elle…

Portées par la verve sarcastique, l’esprit d’analyse, la provocation d’une Shriver au meilleur de sa forme, douze histoires sur un sujet aussi inattendu que central : la propriété. Celle que nous nous octroyons sur les autres, sur les objets, celle qui définit notre statut social, celle qui nous aliène aussi.
Critique acerbe de nos sociétés malades, miroir peu flatteur de notre course effrénée à la possession, une œuvre d’une brûlante actualité, salutaire et éclairante.


TOUJOURS PAS CONVAINCU ?

3 raisons de lire Propriétés privées

  1. Parce que vous apprécierez le rythme de ces nouvelles, leur douceur
  2. Parce que la plume de Lionel Shriver est vraiment à découvrir
  3. Parce que ces textes parlent de nous et nous renvoient une image pas toujours flatteuse mais salutaire à la figure

3 raisons de ne pas lire Propriétés privées

  1. Si vous cherchez un texte coup de poing comme Il faut qu’on parle de Kevin
  2. Si vous avez envie de rythme et de suspens
  3. Si vous avez plutôt envie d’un roman fleuve que de lire des nouvelles (même si deux d’entre elles font plus de 100 pages)

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