Courage, détermination et honnêteté émanent du témoignage de Vanessa Springora qui a fait vaciller la vie de Gabriel Matzneff depuis sa sortie. Ce tsunami littéraire a pourtant de quoi surprendre…
L’auteure le dit très bien elle-même : il n’y a rien de nouveau dans son livre, tout le monde savait, tout le monde couvrait, tout le monde cautionnait les agissements du personnage, et pas seulement le microcosme parisien. Famille, amis, professeurs, lecteurs, policiers… personne ne trouvera particulièrement choquant de voir un homme de 50 ans se taper une gamine de 14 ans et étaler ses saloperies dans ses bouquins qui se veulent des confessions d’un artiste.
Autre époque, autres mœurs ? Un peu facile comme excuse, alors Vanessa prend les armes et combat sur son terrain, l’homme qui lui a pris bien plus que son adolescence. G.M se vante dans ses livres d’avoir été un initiateur sexuel pour de nombreuses adolescentes emmourachées, de leur avoir laissé le plus merveilleux souvenir d’une première fois, d’être un homme doux, prévenant, cultivé qui jamais ne force ses partenaires. Il se prend pour le Zorro d’une génération de Lolita, Vanessa va lui renvoyer dans la gueule la face cachée de ses agissements : dégoût, peur, rejet, perte de confiance… Il prétend parler d’amour ? Elle lui répond qu’il ne s’agit que de perversion, de manipulation et de pédophilie. Depuis plus de 30 ans il pense semer des pétales de roses sur son passage, elle lui montre la boue et le lisier qu’il laisse dans son sillage.
M’avoir transformée en personnage de fiction, alors que ma vie d’adulte n’a pas encore pris forme, c’est m’empêcher de déployer mes ailes, me condamner à rester figée dans une prison de mots. G. ne peut l’ignorer. Mais je suppose qu’il s’en moque éperdument.
Il m’a immortalisée, de quoi pourrais-je me plaindre ?
Les écrivains sont des gens qui ne gagnent pas toujours à être connus. On aurait tort de croire qu’ils sont comme tout le monde. Ils sont bien pires.
Ce sont des vampires.
Surtout, elle ose se livrer telle qu’elle était à l’époque, à savoir une jeune fille heureuse et amoureuse de G. capable de lui adresser des lettres enflammées et de se montrer jalouse des autres adolescentes qui lui tournaient autour. Et c’est précisément parce qu’elle se conduisait ainsi que Matzneff niera toujours avoir agi comme un prédateur avec elle : elle le voulait, elle voulait avoir des relations sexuelles avec lui, elle en redemandait la coquine ! Or, en n’épargnant pas l’image de la jeune fille qu’elle était, en ne cherchant pas à la rendre plus prude qu’elle ne l’était, Vanessa nous livre le message fondamental de son livre : oui une jeune fille peut en pincer pour un homme de son entourage. Oui elle peut avoir le béguin pour son prof, un ami de ses parents, un entraîneur sportif, c’est normal, c’est dans l’ordre des choses. Mais un adulte sain d’esprit refusera ces avances et ne profitera jamais de cette attirance pour en abuser. On ne peut pas donner son consentement éclairé quand on est encore une enfant dans son développement psychique, quand on n’est pas en mesure d’assumer psychologiquement une relation intime, quand on est en pleine construction de soi, en recherche de son identité. Quand on est à la période la plus fragile de sa vie. Et seul un abuseur, un pervers, un manipulateur et un pédophile peut prétendre qu’il y avait consentement là où il n’y avait qu’ignorance et innocence. Fin du débat, inutile de polémiquer, c’est seulement à cette condition qu’un homme peut se regarder dans la glace en se disant qu’il n’a pas détruit des vies et sacrifié des innocents sur l’autel de sa jouissance personnelle.
Une certitude me gagne à la lecture du Consentement : ça n’est qu’un début ! Ce livre va faire bouger les lignes et lever le voile sur les abus sexuels sur mineurs trop souvent couverts par un entourage complice. Après #MeToo c’est ce qu’il nous fallait pour finir de mettre un grand coup de pied dans la fourmilière. Certains – beaucoup ? – n’ont pas fini de trembler !
Le Consentement est le document sélectionné par le jury de mars du Grand prix des lectrices Elle 2020.
L’ESSENTIEL
Le Consentement
Vanessa SPRINGORA
Editions Grasset
Sorti en GF le 02/01/2020
207 pages
Genre : témoignage
Plaisir de lecture :
Personnages : V. et G.M
Recommandation : oui
Lectures complémentaires : L’empreinte d’Alexandria Marzano-Lesnevich, Lolita de Valdimir Nabokov
RÉSUMÉ DE L’ÉDITEUR
Au milieu des années 80, élevée par une mère divorcée, V. comble par la lecture le vide laissé par un père aux abonnés absents. À treize ans, dans un dîner, elle rencontre G., un écrivain dont elle ignore la réputation sulfureuse. Dès le premier regard, elle est happée par le charisme de cet homme de cinquante ans aux faux airs de bonze, par ses œillades énamourées et l’attention qu’il lui porte. Plus tard, elle reçoit une lettre où il lui déclare son besoin « impérieux » de la revoir. Omniprésent, passionné, G. parvient à la rassurer : il l’aime et ne lui fera aucun mal. Alors qu’elle vient d’avoir quatorze ans, V. s’offre à lui corps et âme. Les menaces de la brigade des mineurs renforcent cette idylle dangereusement romanesque. Mais la désillusion est terrible quand V. comprend que G. collectionne depuis toujours les amours avec des adolescentes, et pratique le tourisme sexuel dans des pays où les mineurs sont vulnérables. Derrière les apparences flatteuses de l’homme de lettres, se cache un prédateur, couvert par une partie du milieu littéraire. V. tente de s’arracher à l’emprise qu’il exerce sur elle, tandis qu’il s’apprête à raconter leur histoire dans un roman. Après leur rupture, le calvaire continue, car l’écrivain ne cesse de réactiver la souffrance de V. à coup de publications et de harcèlement.
« Depuis tant d’années, mes rêves sont peuplés de meurtres et de vengeance. Jusqu’au jour où la solution se présente enfin, là, sous mes yeux, comme une évidence : prendre le chasseur à son propre piège, l’enfermer dans un livre », écrit-elle en préambule de ce récit libérateur.
Plus de trente ans après les faits, Vanessa Springora livre ce texte fulgurant, d’une sidérante lucidité, écrit dans une langue remarquable. Elle y dépeint un processus de manipulation psychique implacable et l’ambiguïté effrayante dans laquelle est placée la victime consentante, amoureuse. Mais au-delà de son histoire individuelle, elle questionne aussi les dérives d’une époque, et la complaisance d’un milieu aveuglé par le talent et la célébrité.
TOUJOURS PAS CONVAINCU ?
3 raisons de lire Le Consentement
- Parce que l’ombre et la peur doivent changer de camp
- Parce que c’est le meilleur moyen de condamner les agissements de cette ordure
- Parce que la parole de la victime doit avoir plus de répercussion que celle de son bourreau
3 AUTRES raisons de lire Le Consentement
- Parce qu’il est crucial que le message du livre passe une fois pour toutes
- Parce que ce livre peut aider d’autres victimes à libérer leur parole
- Parce qu’il faut un courage exceptionnel pour livrer un tel témoignage et que cela mérite tout notre soutien
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