Le voyage d’Abel (Isabelle Sivan – Bruno Duhamel – Editions Grand Angle)
Abel est un vieux fermier qui vit seul dans une ferme isolée à Reclesne. Dans ce petit patelin perdu au fin fond de la Bourgogne, le quotidien est rude et les distractions sont rares, à l’exception du café du village, du relais poste et du minuscule marché hebdomadaire. Abel n’a pas vraiment choisi de mener cette vie solitaire, mais quand ses parents sont morts et que ses frères sont partis, lui est simplement resté à Reclesne. « On était bien contents de me trouver quand y avait plus personne pour reprendre la ferme. Tous les frères, ils avaient décampé. Même Augustin, qui avait juré de rester », peste Abel, en labourant les champs sur son tracteur aussi vieux que lui. Et comme il n’a jamais eu le courage d’avouer ses sentiments à Adeline, la marchande ambulante, il est finalement resté célibataire toute sa vie. Sa seule compagnie, ce sont ses vaches, ses chèvres et son chien. Ce dernier a beau avoir sale caractère et le mordre régulièrement, c’est quand même son plus fidèle compagnon. Abel est en quelque sorte confiné dans sa ferme, un peu comme nous tous aujourd’hui à cause du coronavirus. Mais ça ne l’empêche pas de continuer à rêver à des destinations lointaines. Tout le monde se moque de lui dans le village, mais il n’en a cure. Insensible aux moqueries, Abel continue à commander régulièrement des guides de voyage. Là, il vient d’en recevoir un sur l’Ethopie. Son rêve, c’est de quitter sa ferme pour parcourir le monde. Mais le fera-t-il un jour?
« Le voyage d’Abel » est une BD remplie de poésie et d’introspection. Cet album sans prétention est une vraie bonne surprise, tant au niveau du scénario que des dessins. Fidèle à son style semi-réaliste, avec lequel il avait déjà fait merveille dans des albums comme « Le Père Goriot », « Le Retour » ou « #Nouveaucontact », le dessinateur Bruno Duhamel met en images la vie rurale de manière remarquable. Ses planches sont majoritairement réalisées en bleu, noir et blanc, mais il les agrémente de quelques touches de couleurs par-ci par-là, histoire de mieux souligner les rêves de voyage d’Abel. Le scénario imaginé par Isabelle Sivan joue quant à lui la carte de la simplicité et de l’efficacité, avec juste ce qu’il faut d’émotion et d’humour. Pas mal pour un premier scénario! Et pourtant, cette BD a bien failli ne jamais voir le jour… En 2014, quand Isabelle Sivan et Bruno Duhamel proposent leur projet à plusieurs éditeurs, toutes les portes restent closes. Plutôt que de baisser les bras, ils choisissent alors la voie de l’autoédition, avec un tirage limité à 1.000 exemplaires, qu’ils stockent dans un grenier prêté par des amis. Petit à petit, le bouche-à-oreille fonctionne: tous leurs albums s’écoulent sur les festivals et dans quelques librairies amies. Six ans plus tard, leur BD reçoit enfin une vraie chance de la part d’un grand éditeur. Grand Angle, qui a déjà publié plusieurs albums de Bruno Duhamel ces dernières années, a en effet décidé de donner une nouvelle vie à Abel. De quoi ravir tous ceux qui aiment les histoires pleines d’humanité!