Le roman dont je vais vous parler aujourd'hui est exigeant, glaçant mais très intéressant. On n'y retrouve pas la légèreté que je connaissais de Diane Ducret, dont j'avais déjà lu La meilleure façon de marcher est celle du flamant rose, peut-être est-on plus proche de l'autrice de Femmes de dictateurs mais je ne connais pas ce texte.
Cette dystopie, celle d'une femme qui prend le pouvoir, a autant à voir avec l'avenir qu'avec le passé. En cela, le texte témoigne d'un formidable travail de recherches, d'une grande précision. Avant de vous en dire plus, je vous laisse découvrir la quatrième de couverture :
Depuis des années, on entend grogner la révolte sur le Vieux Continent. Un sentiment de rejet généralisé, l'impression pour beaucoup d'avoir été débarqués du progrès. Quand soudain, un violent orage éclate. Une femme se lève parmi la foule.Munich, novembre 2023, une manifestation populaire. Aurore Henri se saisit d'un pavé et le lance au visage d'un chef d'État. Derrière son regard bleu magnétique, une volonté d'acier, un espoir fou, guérir les hommes de leurs tendances destructrices, bâtir une société nouvelle où règnent la paix et l'harmonie.
Diane Ducret nous livre une vision infiniment romanesque d'un Occident qui sombre dans le chaos et trouve son nouveau guide en une femme aux motivations aussi secrètes que son ambition est démesurée.
La première partie du roman est celle que j'ai trouvée la plus difficile. Afin de comprendre la nécessité d'agir que ressent Aurore Henri, Diane Ducret nous fait la description précise des méandres de l'Europe de 2023. Au moment où le récit s'ouvre, les dirigeants européens décident de dissoudre l'Union Européenne qu'ils voient comme responsable de leurs maux individuels, sans consulter les populations. A la suite de son geste de colère, Aurore est arrêtée, devient le symbole d'une colère qui n'est pas entendue, puis celui d'un avenir différent. Cinq années l'isolent de la réalité, de l'humanité surtout. En sortant de prison, elle est portée par un groupe qui la veut au pouvoir et elle fait le tour de l'Europe pour constater les dégâts. Sombre partie qui explique le carnage économique, social, énergétique, commercial, humain... Nécessaire pour comprendre la mission dont l'héroïne se sent investie, mais pas forcément évident.
C'est quand Aurore arrive au pouvoir que l'intrigue devient la plus intéressante. Être du côté de celle qui prend très vite les pleins pouvoirs, c'est se rendre compte de l'écart qui existe entre les valeurs, les croyances et leurs applications. On ne peut retirer à la dictatrice l'envie de bien faire, un réel souci de ses compatriotes et un bon fond...au départ. Mais très rapidement, l'autrice psychologise et fait de cette femme, un être blessé, amputé de deux éléments importants : l'amour et la mère. Dès lors, Aurore est condamnée, on le sait. Ça ne peut plus fonctionner et on la voit sombrer, en voulant continuer à s'illusionner.
Les méandres du pouvoir sont passionnants dans ce texte, mais glaçants. A vouloir gérer la paix des ménages, on se voit organiser les mariages ; à vouloir aider les mères célibataires, on établit le contrôle des naissances. Les dérives sont nombreuses et tellement vite suivies... Seule, non contre tous, mais face à tous, Aurore se laisse griser, dépasser par le pouvoir et par la recherche de reconnaissance. Les histoires parallèles du médecin Virt (absolu et atroce dans cet absolu), de l'historien Bell, du responsable de la sûreté Hugo Humbert, de Nicolas montrent à quel point on bascule rapidement de l'admiration au culte de la personnalité, de la passion au fanatisme.
D'un point de vue idéologique, on est plus proche du communisme que du fascisme, même si Diane Ducret parvient, grâce à la lutte avec " le maître de l'Est " et au jeu sur les dates de la fin du roman, à brouiller cette piste. Bien sûr la dictatrice est une femme, mais elle ne diffère pas de l'homme : elle veut organiser un culte de la vulve originelle, s'aveuglant dans l'idée selon laquelle la femme est l'origine de la vie, contre la mort, tout en demandant à son médecin d'imaginer les pires tortures pour les ennemis de la Nouvelle Europe. Ce n'est pas un texte anti-féministe non plus : Aurore n'est pas toutes les femmes, on la sent bancale, étrange, isolée, sexuellement déviante, dérangeante, même si fascinante.
Pour résumer, c'est une lecture qui m'a tenue en haleine, plus par le travail de recherche politico-historique sur la dérive dictatoriale que par ses aspects romanesques : je n'ai pas trouvé Aurore attachante, même au début, heureusement peut-être... Ce n'est pas une lecture qui remonte le moral, soyons clairs ! Mais c'est un tour de force quand même !
Priscilla