En France, lorsqu’on demande au chaland quels sont ses cinéastes chinois préférés, on aura quelques chances d’entendre parler de la vague de cinéastes contestataires des années 1980-1990, Chen Kaige, Zhang Yimou ; au mieux, les plus jeunes Jia Zhangke ou Wang Bing. Il semble que, pour que parvienne en France le nom d’un cinéaste chinois, il faut d’abord qu’il se soit prouvé contestataire et qu’il ait connu les foudres de la répression. Il faut dire que la révolte populaire de 1989 contre le régime chinois a marqué les esprits européens. C’était la première fois que la Chine faisait les gros titres de la presse en général, et pas seulement des journaux communistes.
« J’ai voulu faire deux tableaux de la Chine », explique Shan Sa dans une interview à propos de Porte de la paix céleste (1997). Le roman commence en effet au milieu du massacre, sur la place Tian’anmen (le titre français traduit le nom de la place). C’est la guerre civile. Une étudiante passionnée, Ayamei (un nom de fleur), s’échappe d’entre les tanks et commence une vie de fugitive, tandis qu’un militaire zélé, Zhao (un nom d’empereur), part à sa poursuite.
On s’attendrait à une histoire d’amour. Il n’en est rien. À mesure que poursuivant et poursuivie s’enfoncent dans les montagnes et s’abritent aux temples de religions oubliées, l’autrice nous fait admettre avec justesse que l’Histoire chinoise éphémère et terrible a peu de choses en commun avec sa paisible beauté plurimillénaire.
On pardonne aisément sa pesante binarité au premier roman d’une exilée chinoise de vingt-quatre ans, surtout lorsque la dichotomie n’empêche pas la nuance. Par exemple, l’idéal de justice anime aussi bien l’armée chinoise que les étudiants qu’elle réprime. La plupart des officiers d’armée sont « issus de familles paysannes. Sans le Parti communiste qui avait renversé l’ancien régime social, ils seraient morts de faim » (p. 24).
La chute sort du roman et entre dans le mythe. À l’image du roman tout entier, la dernière page est en équilibre entre l’idéal chinois de beauté naturelle et l’idéal occidental de liberté individuelle.
Voir ailleurs : l’interview de Shan Sa dans l’émission Bouillon de culture en 1997 ; les avis de Pollen, Lilly, et ceux de Sens critique.
Shan Sa, Porte de la paix céleste, éditions du Rocher, 1997, 132 p., 11,20€.