Comme souvent chez Sabine Wespieser, le sujet du roman est lourd et traumatique, mais cette fois l’on touche aux limites de l’humanité : que peut-on imaginer de pire, au juste, que la vie réelle d’une lycéenne devenue esclave sexuelle des djihadistes nigérians de Boko Haram en 2014 ? Je ne sais pas vous, mais moi je ne trouve pas.
C’est sans nul doute l’énergie du désespoir qui pousse Edna O’Brien à écrire, à quatre-vingt-huit ans, ce témoignage fictif pour lequel elle n’a pas hésité à s’envoler pour Lagos. Sa narratrice, Maryam, va de malheur en malheur. On ne connaît son nom que lorsqu’elle est mariée de force à l’un des djihadistes, Mahmoud ; échappée de ce premier tyran, elle ne cesse d’en rencontrer d’autres, car les crimes dont elle a été victime l’ont aussi éloignée de sa communauté d’origine. Deux cents cinquante pages durant, elle survit tant bien que mal. Heureusement, il demeure un éclat de rire ici ou là, comme lorsque les femmes ont déguisé un ami de l’héroïne en femme, avec robe et coiffe bleue, pour qu’il échappe à l’embrigadement : « même s’ils sont malheureux, les enfants ne peuvent s’empêcher de rire et de se moquer » (p. 29).
Tout a été dit sur Girl d’Edna O’Brien, qui a fait conquis la critique : on se reportera aux chroniques de La Vie, du Monde, du Matricule des anges, de Transfuge, d’En attendant Nadeau, de La Cause littéraire – j’en passe et des meilleurs. Tout à son étonnement, la presse a néanmoins peu remarqué qu’il s’agissait en quelque sorte d’un roman de genre, d’un survival horror novel à l’américaine. Ainsi la fugue de la narratrice et de son bébé ressemble fort à l’errance post-apocalyptique du père et du fils dans La Route, le roman de Cormac McCarthy (2008) adapté par John Hillcoat au cinéma.
Les méchants y sont radicalement méchants, et aussi bêtes que méchants : « malgré leur fanfaronnade, ils étaient superstitieux » (p. 39). Par déduction, lorsqu’on rencontre des animistes adorateurs des forêts, on peut être sûr·e « qu’ils n’étaient pas méchants, que c’étaient des braves gens » (p. 86). Inévitablement, comme dans tout roman africain occidental, c’est la dramatique arrivée de la sorcière contemporaine qui sauve la mise (p. 204). Ainsi, à certains moments, ce livre ressemble à la balle de caoutchouc anti-stress qu’une infirmière humanitaire offre à Myriam pour se soulager : « Écrase les salopards… Écrase les salopards, dit-elle, me glissant la balle dans la paume » (p. 147).
Edna O’Brien, Girl, Sabine Wespieser éditeur, septembre 2019, 256 p., 21€.