Le cerbère blanc
Pierre Raufast
Editions Stock
Collection Arpège
Mars 2020
260 pages
Lu sur liseuse
« Quand tu aimes, il faut savoir
Chanter courir manger boire
Siffler
Et apprendre à travailler
Quand tu aimes il faut partir
Ne larmoie pas en souriant
Ne te niche pas entre deux seins
Respire marche pars va-t-en »
(Blaise Cendrars)
De cet auteur, je n’ai lu que La fractale des raviolis que j’ai vraiment apprécié, mais je n’ai jamais lu les autres, ce n’est pas faute d’avoir été tentée par les multiples articles fleurissant sur la blogosphère, mais non, ça ne s’est pas fait.
Et puis, là, je savais ce titre différent des autres, un roman de facture plus classique, il était sur Netgalley, je l’ai demandé par curiosité, je l’ai eu, je l’ai lu en une journée, je me suis délectée.
Effectivement, cela commence comme un roman classique renforcé par l’utilisation du passé simple et de l’imparfait à la troisième personne du pluriel, par cette langue un peu châtiée, qui sied bien à mon oreille mais pendant quelques chapitres on se dit « tiens, mais cela ne ressemble pas à l’univers de Pierre Raufast », d’autant plus que nous est narrée une histoire d’amour, ce qui est loin d’être ma came. Amandine et Mathieu se connaissent depuis leur naissance, ils ont quasiment été élevés ensemble, leurs parents sont des amis très proches. Un malheur va toucher l’un pour permettre à l’autre d’être encore plus présent, encore plus proche. Mais je sentais, je savais que ce roman allait virer de bord, pour mon plus grand bonheur. C’était trop classique pour être honnête. D’ailleurs quelques petites phrases, quelques petites traces d’humour égrenées ça et là laissent percevoir que l’auteur va nous mener sur un chemin parallèle, loin des traditionnels états de l’âme humaine.
Des disparitions soudaines et imprévues, une décision lâche et veule et hop, le roman amorce un virage, en tout cas, nous éloigne de cette amourette… c’était plutôt pour me plaire. Mais je ne vais pas en dévoiler davantage. Ce n’est pas mon genre de raconter les histoires. Il faut vous laisser embarquer sans en trop savoir (c’est ainsi que je l’ai vécu) et accepter d’entrer dans les mondes imaginaires (très imaginaires) de l’auteur. Il faut accepter de naviguer au temps des dieux et des déesses, d’Orphée et d’Euridice, de Perséphone et de Hadès, et bien sûr de Cerbère.
On retrouve la fantaisie, mais conjuguée à des réflexions plus profondes sur des thèmes tels que le culte de la jeunesse, le désir d’un corps parfait et la crainte du vieillissement. La mort est ultra présente, la culpabilité dans la mort d’autrui, la mort injuste des personnes jeunes, la maladie, la mort comme compagne des vivants. L’écriture de Pierre Raufast est agréable, les phrases s’enchaînent avec légèreté. Ce n’est pas un texte qui nous résiste, c’est un texte qui nous détend, qui s’avale avec une facilité déconcertante, qui nous fait voyager dans les limbes et dans nos propres peurs, qui nous questionne, comme ça, l’air de rien.
La narration alterne entre Amandine et Mathieu, leurs points de vue, leurs vies respectives, si éloignées l’une de l’autre et en même temps si proches. Jusqu’à cette phrase que l’on relit plusieurs fois parce qu’on n’en croit pas ses yeux et en même temps, on n’est pas surpris parce qu’on lit un roman de Pierre Raufast quand même, et cette brutalité non pas dans l’acte (enfin, si, aussi) mais plutôt dans la façon inopinée qu’elle a de surgir, sans transition aucune, est à elle seule, une vraie réussite. Donc, on la relit trois, quatre fois, on relit ce qui précède et puis on avance et l’autre narrateur confirme les dires du premier, oui, c’est bien ça, il n’y a aucun doute.
Et pour conclure, cette fin, mais pouvait-on s’attendre à une autre, merci monsieur Raufast, une porte ouverte sur l’inconnu, sur notre propre vision des choses, et l’on revient vers le prologue qui nous paraissait si hermétique et qui nous laisse suspendu… à notre choix.
Merci aux éditions Stock et à Netgalley